vendredi 16 mai 2014

De la justice ordinaire... quotidienne

Parfois, bien involontairement, les acteurs de la sécurité ou de la justice que nous sommes, se retrouvent "de l'autre coté". Finalement, comme tout le monde. Et c'est très sain et salutaire, en fait!

Les faits

Il est douze heures et cinquante minutes. C'est la pause déjeuner, et je décide, ce jour-là, d'aller me promener dans le centre-ville, en faisant un petit détour en bord de mer. Je finis par me retrouver dans un fast-food. Je prends ma commande, m'assois pour manger. J'écoute de la musique, sur mon smartphone. Mon cadeau de départ des anciens collègues, en métropole, il y a dix-huit mois. Je parcours la playlist, le téléphone posé à même la table ...

Et là, en moins de deux secondes, je vois ce jeune homme, qui prend mon portable, sur la table, et part en courant. Premier réflexe ... Je cours après ... Je descends l'escalier en colimaçon, je le vois à quelques mètres ... Il sort du centre commercial, prend à gauche ... Les badauds, qui voient ça ... Et bien, ils regardent ... Bref.
Et là, une pensée: ma sacoche, avec tous mes papiers, mon portefeuille ... Elle est au pied de la table ! C'est souvent un stratagème des voleurs ... Obliger la future "victime" à partir pour prendre "plus gros". Zut ... Il faut faire un choix ... Tant pis ! Dans la Police Nationale, le fait de perdre, de quelque manière qu'il soit, sa carte de Police, est synonyme de blâme. Et puis la carte bleue, etc ... Je m'arrête, et retourne rapidement à la table: tout est encore là. Je suis si énervé. Je m'en veux ... J'ai fait preuve de négligence ! Je n'avais jamais eu de sentiment d'insécurité, au centre-ville. Mais là, je prends une claque, en fait !

Je l'avoue ... Je suis, depuis plusieurs années, dans des services de police judiciaire où je traite des affaires d'une certaine importance. Je parle souvent en dizaine de milliers d'euros, voire plus. Que cela soit en terme de préjudices, ou encore de "valeur de marchandise".

Rapidement, j'appelle mon opérateur, et je fais bloquer la puce ... La puce, oui. Mais pas le téléphone. Et comme j'étais si peu méfiant, je n'ai même pas un code Pin sur le téléphone. Oui, j'ai fait preuve de négligence. Encore une fois.

Je me décide à déposer plainte. Je vais au commissariat, suis reçu au service de quart. On prend ma plainte. Je passe même par le fichier Canonge. Une collègue me montre huit cent clichés photographiques susceptibles de correspondre à l'individu recherché. J'ai toujours été sceptique devant ce genre de "présentation". Mais bon. Je me plie à la règle. J'estime que, lorsque l'on est "en demande", on n'a pas à la ramener. Je fais donc ce qu'on me dit. Comme tout le monde.

Je repars avec ma plainte. Et là ... Plus rien ! Bon, en même temps, ça prend du temps, pour effectuer les recherches. Les opérateurs en téléphone peuvent parfois mettre du temps à répondre ... Les caméras à exploiter. Bref. Je laisse faire le service enquêteur. Je ne les sollicite plus, rien. Je les laisse travailler.

Le portable étant pour moi une nécessité tant professionnelle que personnelle, je me rachète un téléphone portable. J'ai prévu de le payer en trois fois. Un smartphone, ce n'est pas donné ! Et encore moins aux Antilles. A ce jour, je n'ai pas fini de le payer, mon téléphone "made in China".



 Et maintenant?

Aujourd'hui, 14h30. Je reçois un appel du commissariat. L'auteur des faits a été interpellé - super - me dis-je !  Et il a reconnu les faits, en disant que ça l'avait pris "comme ça". Il aurait revendu le téléphone pour trente euros, à un de ses copains, lequel, à son tour l'aurait jeté. Soit. Le parquet est avisé. La décision "Rappel à la loi".
Oui ... Ok ... Et ? Et ?

Et ... Ben rien ! C'est tout.
Je raccroche ... Estomaqué. Je n'avais pourtant pas tendu l'autre joue ! Je suis scié.

Qu'on ne se méprenne pas ! La décision de "rappel à la loi" ne me regarde absolument pas ! Le Parquet est seul maître à bord. Gère la criminalité locale. Et puis ... Soyons sérieux. Il s'agit d'un collégien, inconnu à ce jour ... On ne va pas non plus l'envoyer deux ans en prison. Donc soit. J'imagine que le magistrat, suivant le compte-rendu qui lui a été fait, estime que le gamin a compris la leçon. Aucune difficulté.

Mais ... A quel moment pense-t-on à la victime, en fait ? En quoi, par cette décision, on parle de justice ? A quel moment imagine-t-on que le préjudice a été "réparé" ? N'est-ce pas, aussi, un peu le but de la justice, que de réparer, autant que faire se peut, une "injustice" ?
Cette décision me fait penser que notre système actuel s'en fiche un peu, en fait ! Il gère "comme il peut" la criminalité. L'autre coté, en fait ... Ce n'est pas très important !
En tous les cas, c'est ce que j'entends...

J'insiste encore une fois ... Je ne veux pas, par ce billet, "baver", ou "critiquer pour critiquer"... J'essaye d'être constructif, et profite d'être "de l'autre coté"... 

J'entends aussi certains d'entre vous, magistrats, qui me parlent des moyens, des délégués du procureur débordés, qui convoquent, à ce jour, quatre mois plus tard ... Oui. J'entends ... Et donc ?
Je ne peux me satisfaire de cette réponse. Les moyens.

Ça m'arrive à moi. Mais ça arrive à des milliers de personnes, tous les jours ! 

Alors oui, je sais, je dispose de recours ... Mais quelle énergie vais-je perdre, encore, pour quelle certitude ? Quel coût ? Cette lourdeur ne sert qu'à décourager les plaignants ... 

Quand bien même, il s'agit- là d'une décision d'un magistrat, c'est tout un système qui est en faute ! 
C'est bien du législateur, dont il s'agit. Celui-là même qui entend, régulièrement, parler des droits de la défense ...
Ne peut-on pas envisager un seuil minimum de droits, pour les victimes, qui consiste en un principe de  systématisation de l'indemnisation, dans ces cas-là ? Enfin au moins dans une certaine mesure ! C'est, me semble-t-il, le début de tout système qui se veut "juste"! Un auteur est interpellé, avoue son forfait ... La première des choses est, dans le cas d'une infraction matérielle d'indemniser la victime, à hauteur du préjudice subi ! Au moins dans une certaine mesure pour des très gros montants ! 
Je me mets à la place d'un parent dont l'enfant a "volé"... De moi-même, je prends contact avec la victime, s'il le faut par la biais des autorités, pour l'indemniser ... Je m'égare, là ... On parle d'éducation. 

Moi, je parle justice ... Et, en l'espèce, la justice est absente.

dimanche 4 mai 2014

La maison fantôme


Une fois n'est pas coutume. Après avoir accueilli, avec plaisir, un douanier, en la personne de @hpiedcoq, (vous pouvez retrouver son billet par ici ) c'est, cette fois-ici, un gendarme que nous accueillons.
Nous n'avons pas le même uniforme, mais le même métier, que nous exerçons de manière différente.
Bienvenue, donc, @M_I_K_40  



La femme saigne de partout. Je n'arrive même pas à voir où elle est blessée. Je tremble plus qu'elle, j'essaie de lui porter secours mais je ne sais même pas par où commencer. Je regarde ma montre. Une heure et demi du matin.
J'attrape une veste dans la bagnole et je la couvre. Elle pleure, elle est apeurée, entre deux sanglots elle me dit d'une voix tremblante qu'il a "pété un plomb". Son jean est souillé de sang. Le liquide a foncé au contact du tissu. Son chemisier fin de couleur pale est arraché en partie. Son visage est éprouvé, les rides marquées.

Elle semble figée, comme prisonnière encore de ce qu'elle vient de vivre. Je ne la connais pas, mais je peux lire dans ses yeux toute l'angoisse qu'elle ressent.

Je n'arrive pas à comprendre la situation, ses explications sont confuses, certes il ne faut pas s'appeler Colombo pour arriver à déterminer qu'elle a été molestée mais le choc la rend incohérente. Elle me parle de couteau, puis de fusil.

Encore un fusil !

Ce mot fait raisonner en moi le souvenir amer de l'intervention précédente. A une rue d'ici, quinze minutes plus tôt sur les lieux d'une fusillade. Connerie de débutant, fatigue après déjà 12 heures de service ou stress je n'en sais rien... Toujours est il que je me suis lancé à la poursuite d'un gars en laissant un fusil à pompe dans la bagnole de patrouille restée ouverte .
Le moniteur d'Intervention du PSIG n'a pas eu à gueuler, son regard glacial a suffit à me faire comprendre mon erreur. Et puis le téléphone a sonné de nouveau. C'était le CORG (centre d'opérations et de renseignements de la gendarmerie) "transporte toi rue X pour un différend familial" , tu parles d'un différend ... Je suis dans un film d'horreur face à une femme dont même les larmes qui coulent sur ses joues ont la couleur du sang.

Je prends sur moi, la victime prime. Et puis je n'ai pas le choix. Mon erreur de l'intervention précédente m'a relégué en dernière division. Sanction irrévocable, prends ton flambeau et casse toi, les paroles du MIP raisonnent encore dans ma tête "MIK prends en charge la victime, on va taper le gars !".


Je souffle, je tente de reprendre mes esprits. J'entends le deux- tons des pompiers. Il faut que je sache les guider au moins un minimum. Elle a le nez cassé c'est une certitude, sans doute un coup de crosse de fusil. Des traces de griffures et des ecchymoses sur tout le cou jusqu'au buste. J'inspecte son chemisier en réalité il n'est pas déchiré, il est lacéré. Son bourreau a du jouer du couteau !

Elle est à bout de force, mais elle commence à s'apaiser. Son stress retombe petit à petit, elle parvient à s'exprimer clairement "j'ai les vertèbres pétées !". Bon sang comment peut on savoir qu'on a les vertèbres pétées ? Que s'est il passé dans cette baraque ?

"T'as pas une clope ?". Bordel, comment peut on penser à sa dose de nicotine alors qu'on a les vertèbres en vrac et le nez pété ?

C'est pas possible, je suis entrain de vivre un mauvais polar ! Je ne sais même pas si je peux la laisser fumer. J'ôte mes gants j'attrape mon paquet et porte une clope directement à sa bouche d'une main tremblante. Le vent froid me hérisse la nuque, il s'engouffre au niveau de l'encolure de ma polaire et me glace le sang. Je ne sais même plus si j'ai froid ou si je suis juste sous le coup de l'émotion. J'allume le briquet, la flamme est vive et la fait réagir comme si elle venait de subir un électrochoc. Le bruit de la roulette du briquet provoque un tressaillement.

Recroquevillée sur elle même, elle ose enfin lever la tête et me regarder. Elle saisi mes mains pour cacher le vent, ses mains tremblent, ses yeux s'illuminent enfin à la lueur de la flamme. Dans d'autres circonstances j'aurais peut-être fondu en larmes. Mais là, les pensées s’efforcent de contrôler l'empathie, et de rester professionnelles : je m'inquiète surtout de tout le sang qu'elle vient de me coller à même la peau.

Une grande taffe libératrice, et la bouffée de nicotine vient de lui faire prendre conscience qu'elle est en sécurité. J'essaye de trouver les mots, j'essaye de la réconforter, moi gamin de 19 ans qui pourrait être son fils !

Soudain le gendarme mobile qui était rentré en premier dans la maison ressort en pressant le pas. Il se précipite vers une haie et vomit ses tripes. Que lui arrive-t-il ? Visage horrifié, il me regarde et me fait signe d'un coup de tête de prendre sa place.


Je le laisse avec la victime et je me dirige vers la maison. Je chausse mon arme, je marche prudemment sur le trottoir le long du mur, je pénètre dans la baraque. Le MIP, mitraillette épaulée tient en respect  un homme qui est couvert de sang, pendant qu'un autre camarade lui passe les menottes. Le gars est calme, il dit juste qu'il veut récupérer ses dents. Je ne comprends pas mais soudain je prends conscience de mon environnement, une odeur de fer m'envahit les sinus, ma gorge se serre, mon estomac se noue, les murs sont couverts de sang. Cette tapisserie à fleurs vieillotte est méconnaissable. Le sang à la fois translucide, sombre et épais luit sur les murs. Des bouteilles d'alcool brisées jonchent le sol. Des meubles en bois d'une autre époque ne font que rajouter de la lourdeur à la pièce  qui me donne le sentiment d'étouffer.

Je comprends mieux pourquoi mon camarade a dégueulé, je n'ai jamais vu ça ! Je prends en charge le gars, il est petit, la quarantaine rongée par l'alcool, il a la carte des vins imprimée sur la gueule. Il veut récupérer ses couronnes qui sont passées dans le siphon du lavabo de la salle de bain. On commence à éclaircir la situation, monsieur a foutu sur la tronche à madame et a commencé à jouer du couteau. Madame a appelé son père au secours qui a débarqué avec un fusil. Le gendre a réussi à le désarmer et a continué à déverser sa haine à coup de crosse. Dans la lutte il a quand même perdu deux chicos, moindre mal, il veut quand même les récupérer parce que "ce sont des couronnes et ça coûte une burne".

La scène devient cocasse, on vient de l'interpeller et il nous demande maintenant s'il peut récupérer une clef à molette dans le garage pour démonter le siphon.

Au fond du couloir j'aperçois une porte légèrement entrebâillée. Je la pousse et trouve une chambre nickel, un grand lit en chêne recouvert d'un vieux plaid se trouve au centre de la chambre. Mon alcoolo à la main lourde lâche un "laissez, y'a la vieille qui dort". Sa mère. Elle a 92 ans. Je m'approche doucement. Cette dame au visage angélique dort paisiblement, elle est couchée en position fœtale, son souffle est long et apaisé.

Les gendarmes locaux ont désormais une fusillade a régler et une rue plus loin un différend conjugal qui s'est transformé en drame. La nuit va être courte... Je fais mes premiers pas dans la gendarmerie et je viens de prendre une grande claque. Cette nuit là, à mon retour de patrouille je ne trouverai pas le sommeil.

par  @M_I_K_40