jeudi 7 juillet 2011

L'avocat en garde à vue: première


Et voilà, je me sens bien obligé d'en parler.
Il y a quelques jours, j'ai donc vu débarquer, dans mon bureau, un avocat, conseil d'un gardé à vue.
Comment cela s'est-il passé, me demanderez-vous?
Eh bien il ne m'a pas mordu, c'est déjà une bonne nouvelle.
Plus sérieusement, il n'y a aucune raison que cela se passe mal, de toute façon. Ce qui est critiqué, c'est le principe; il ne faut pas non plus s'attendre à des batailles rangées dans les bureaux! Nous sommes entre personne intelligentes (en général, hein).
Mais, encore une fois, c'est en amont, que le bas blesse. J'y reviendrai, mais les premiers chiffres commencent à arriver, et l'on s'aperçoit que les faits élucidés baissent de 9% sur le mois de Juin. Un hasard? Je n'y crois pas. Même si l'avocat n'est pas responsable de tout, ces chiffres sont le reflet de plusieurs choses: on est dans une période d'incertitude. Les collègues, sur le terrain, ne savent plus s'ils peuvent interpeller. Et, ayant peur des sanctions, en cas de doute, ils ne le font pas. Ensuite, il y a l'écoeurement qui revient très souvent, chez nombre de policiers. Ce n'est pas très motivant que d'avoir toujours plus de contrôle, toujours moins de confiance dans les troupes. Et l'avocat, présent en garde à vue, est une autre raison. Combien de mis en cause ont fait droit au silence, en garde à vue, parfois sur le conseil de leur avocat? Et lorsque vous n'avez pas d'élément matériel, le but du policier est tout de même de confondre le gardé à vue dans ses mensonges et contradictions. Et cela, donc, on ne peut plus le faire. Ce qui conduit à la libération de nombre de gardés à vue. Le tout, eh bien c'est 9% d'élucidation en moins.
L'avocat, revenons-y.
A-t-il servi à quelque chose dans le but que le gardé à vue "parle" un peu plus? Je n'y crois pas. peut-être aurais-je osé crier plus fort sans avocat (c'est une réalité, et je ne le nie pas, je l'assume). Et, encore une fois, je parle de crier, pas frapper; ne pas confondre... Mais sur le fond, rien. La seule remarque de l'avocat, à l'issue de l'audition n'a fait que rappeler ce que j'avais déjà écrit trois fois dans l'audition.
Ensuite, je me dois de raconter cette petite anecdote, tellement elle m'a fait rire:
nous étions en audition, donc; un gardé à vue, l'avocat à coté, l'interprète plus loin et moi-même. L'audition se passe, je pose mes questions, l'interprète traduit les questions, puis les réponses. Et, au bout d'un moment, l'interprète de s’esclaffer: "Maitre, vous êtes fatigué? je vous ennuie, peut-être"?
Et moi, de lever les yeux, et de voir l'avocat, effectivement, qui piquait du nez. Lui, gêné: "mais non, mais non, madame". J'avoue que je n'ai pas pu m'empêcher de sourire avec l'interprète.
Et pan.
Pour avoir discuter un peu avec l'un ou l'autre de ceux qui sont venus, ils m'avaient l'air fatigués, les "baveux"; l'un sortait de 96h sur un trafic de stupéfiants, et reconnaissait que, de toute façon, ils ne pourraient pas durer très longtemps comme ça; pendant qu'ils sont en garde à vue, ils ne sont pas au cabinet, à poursuivre leurs dossiers; ajoutez à cela les audiences. Bref, ces messieurs sont fatigués!
Et l'un d'entre eux de reconnaître que, selon lui, après l'été, il faudrait trouver un autre système. A ce qu'il m'a dit, le barreau de Paris est passé de permanences de 15 avocats à 46, par jour. Et certains de ceux qui sont venus ont reconnu ne plus faire de permanence depuis quelques années, et aider le barreau, de temps en temps, après avoir été harcelés par SMS. Bref, il fallait que ça marche.
Un autre m'a fait sourire, aussi, lorsqu'il m'a dit que, selon lui, il faudrait interdire les auditions entre 23h30 et 07h00. Ben voyons.
Bref, cette première rencontre s'est déroulée.... comme on pouvait s'y attendre. Encore une fois, nous n'avons pas les mêmes intérêts. Ça n'empêche pas, que ce soient les avocats ou les policiers, nous ne sommes pas des hordes d'abrutis qui vont se taper dessus.
Place à l'affaire suivante.

dimanche 3 juillet 2011

Cinq jours de folie...


1 vol à main armée, 500.000€ de préjudice, 3 braqueurs interpelés, 5 jours d’enquête, 69h de travail réparties sur 4 jours1/2 et 488 feuillets de procédure photocopiés par quatre.
C’est là le bilan de la petite semaine qui vient de s’écouler. Et,  le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a été intense; à plusieurs titres, d’ailleurs. Physiquement, on peut l’imaginer, et émotionnellement, également. Ce qui parait moins.
Cette affaire est l’une de celles qui compte. Il y en a une par an, à peu près. Comment juger une affaire ? Parce qu’elle réunit, au final, plusieurs éléments : bien évidement la réussite, le fait que les malfaiteurs soient arrêtés. Mais aussi parce que le déroulement de l’enquête fait qu’il y a un sentiment du travail bien fait. Il fallait procéder à X investigations ; et la chance, mêlée au travail (il faut des deux, pour faire une belle affaire) fait qu’au bout, il y a interpellation. Pour le coup, ce n’était pas évident, puisque l’horloge tournait. Des auteurs étrangers, susceptibles de retourner dans leur pays. Pour être efficace, il fallait faire vite. Après, cela serait devenu beaucoup plus compliqué. Mais tout a bien fonctionné. Une ficelle en amenant une autre, 30h après les faits, les auteurs sont interpelés. Mais c’est une chose, que d’interpeler. Une bonne chose, mais ce n’est toujours que la moitié du chemin (bien sur, le chemin du policier, pas de la justice). Il faut ensuite continuer les investigations pendant la garde à vue. Et là, ce n’est plus pareil. Le temps s’écoule. Le temps, pour le coup, c’était 96h au maximum, puisque l’on tombe dans un régime de criminalité organisée.
Et là, on découvre avec stupéfaction les réalités de la nouvelle procédure. Non pas que l'on n’était pas prévenus (quand-même), mais là, il a fallu mettre en application.
Dès le début, les complications nous sont apparues : les interpelés ne parlent pas un mot de français. Il est 18h passé, et l’on est à deux jours des vacances scolaires estivales. Coté interprète, on ne décroche pas beaucoup ; les messages sont laissés, mais peu de réponses, encore moins de rappel. C’est le premier problème. Il faut ensuite faire les perquisitions. Et le seul qui parle à peu près le français veut un médecin et un avocat. Soit. On appelle l’avocat, et on se met d’accord pour le rappeler à l’issue de la perquisition. Cela s’éternise un peu ; pour cause, il y ‘a d’autres interpellations qui sont intervenues entre temps. Ok. L’avocat vient aux nouvelles ; ça tombe bien, mais le mis en cause doit aussi voir un médecin (eh oui, on se doit de montrer le certificat médical du médecin à l’avocat). « Maitre, je vous rappelle dès que votre client a vu le médecin ». Donc, on va voir les unités médico judiciaire (ce service est désormais obligatoire). Et là, deuxième problème : il y a 8 personnes en attente, et c’est l’heure de la pause déjeuner des médecins. "rappelez dans deux heures, messieurs". Ok. Finalement, on rappelle l’avocat, pour qu’il puisse venir par commencer à s’entretenir avec son client.
Notons, au passage, qu’il est déjà 23h. ok, une demi-heure d’entretien. Maintenant, il faut retourner voir le médecin. Au bout d’une demi-heure d’attente, le médecin : « messieurs, il faut aller aux urgences ». soit ; on va aux urgences. Il doit bien y avoir une raison.
Aux urgences, premier médecin « il faut passer une radio ». ok, va pour la radio.
J’oubliais, il n’y a, au service, qu’un seul interprète. Et il y a 2 GAV à assister ; ça veut dire les auditions, les entretiens avec l’avocat, le médecin. Bref, tout.
Il est 1h du matin. Le médecin revient ; « pour nous, c’est ok ; il faut retourner aux UMJ » ; ok. Et là, c’est l’attente… l’attente… l’attente. Il est 7h du matin lorsque les deux policiers et le mis en cause ressortent. Mais, heureusement, il n’a rien. Même pas un petit doliprane pour le mal de crâne ; tout va bien. Ouf, on a eu peur (ironie).
Il a bien fallu ramener l’interprète ; vu que rien ne se dessinait chez le médecin, à 3h30, il est décidé de le ramener. Interprète qui, bien sur, se doit d’être présente à nouveau le lendemain à 09h05. Pourquoi les 5 minutes ? C’est le retard autorisé, pour le peu de sommeil de la nuit (c'est bon, je plaisante).
Plus sérieusement. On est quand-même sympa ; on ne va pas laisser l’interprète rentrer en taxi. Allez, on la ramène. Vous habitez où ? ah…. C’est… à l’opposé de chez moi.  Ce n’est pas grave, allez ; une petite heure de voiture… trankilou.
Allez, maintenant c’est dodo. Ah, mais pas trop longtemps. Eh oui, il y a des auditions, à faire, quand-même ! Allez, à 08h30, on y retourne. Il y a les premières recherches à acter ; On fait les premières auditions, les recherches qu’il y a à faire. Mais, très vite, il faut penser à la prolongation de GAV. Et c’est présentation au parquet, maintenant. Finalement, il n’y aura pas de présentation. Bon, c’est déjà ça de gagné. On notifie les prolongations de garde à vue, on appelle les avocats pour les entretiens. Cette fois-ci, c’est retour maison à 22h30. La chance.
On arrive le lendemain à 08h30. Il faut faire de nouvelles auditions ; et donc, prévenir les avocats. On attend, en moyenne, 3/4h, 1h pour qu’ils arrivent. On a de la chance, on a un 2èmeinterprète. Ok. Mais tout se bouscule quand-même. Il faut jongler avec le temps. Ok. Et là, en fin de matinée, maintenant qu’il y a un interprète, on entend le mis en cause qui ne veut pas d’avocat. Bingo, maintenant, il en veut un. Ok. Appel au barreau, l’avocat rappelle. Il sera là dans 45mn. Ok, pas de problème.
1h plus tard, il est là. Ah, mais oui ; il faut un entretien, maintenant. Allez ; 20 minutes. On commence l’audition, il est 13h, environ. On pose les questions, toutes les questions…. A l’issue « maitre, avez-vous des questions à poser à votre client ». Ca, c’est fait. Au mis en cause « vous êtes certain de n’avoir rien de plus à dire » ? Et ce dernier « est-ce que je peux m’entretenir avec mon avocat, en privé ». Et là, qu’est-ce qui me prend ???? J’en sais rien, la fatigue, certainement : « d’accord ». Et c’est parti ; on descend. Petit entretien rapide. On remonte « j’aimerais modifier quelques déclarations ». Très bien, on continue, mais en fait, on recommence, puisqu’il faut expliquer les mensonges. Ils s’expliquent. Ok. Sauf que le défèrement était prévu à 18h. Mais là, devant les dernières déclarations, il y a de nouvelles investigations à faire. Allez, va pour la prolongation. Mais là, c’est JLD obligatoire. Ok y va. Il nous attend.
Et là, c’est le show ; on arrive au JLD. Les prolongations GAV passent en priorité, devant les détentions provisoires. Saut que le juge est occupé ; Ok ; on attend 10mn, 20mn, 30mn…. Euh…. La fin de GAV, c’est dans 20mn, là. Ah, j’oubliais. Bien sur, il n’y a plus qu’un seul interprète (eh oui, l’autre est au TGI, chez le JLD). Et pourtant, l’interprète va devoir partir ; week-end, vacances…
Bref, le JLD accorde ses prolongations ; pour l’un des GAV, à 5mn près ! Retour service, et il faut notifier ces prolongations. Et là, c’est médecin obligatoire pour tout le monde. Ouf ; cette fois-ci, c’est le médecin qui va passer. On appelle les avocats. « Maitre, votre client est prolongé, et on va procéder à de nouvelles auditions ». Forcément, la version d’un malfaiteur a changée ; il faut donc en parler aux autres. C’est reparti. les auditions se terminent, il est une heure du matin passé.
A priori, on n’aura rien de plus dans les auditions. Ok. Retour maison après, il faut l’avouer, une petite bière au passage, pr se détendre un peu des quelques heures de stress passées….
Déferement prévu samedi à 14h. le temps de monter la procédure, faire les photocopies, les quelques actes qui manquent, les fins de garde à vue, la numérotation des feuillets… c’est parti.
Voilà, il est 14h, départ pour le TGI. Il y a donc 488 feuillets de procédure.
Ce qui est certain, c’est que cette équipe, qui vient d’être interpellée, est d’un très bon niveau (si si, même s’ils ont été interpelés, il y a une organisation qui dénote de ce que l’on voit habituellement). Et ceux-là, sont de ceux que l’on peut appeler les « beaux » voyous ; même si le terme est ambiguë. Ils sont respectueux des policiers ; quand bien-même on « joue » les uns contre les autres, il n’y a pas de problème. Pas un mot plus haut que l’autre. Du respect. Et, parfois, même, de l’humour. On peut discuter cinq minutes au détour d’une cigarette autorisée. Bien sur, rien qui ne puisse être en lien avec la procédure en cours ! Parler des quelques connaissances communes (un homme interpellé quelques années auparavant, connaissance du malfaiteur ici présent). Et pourtant, les choses sont claires ; il y a le voyou et les policiers. Chacun reste à sa place. Mais, par rapport à la situation tendue du début, tout s’aplanit au fil du temps. Les langues se délient, les contradictions s’effacent.
Ah, mais il faut y aller. Le Proc attend la procédure, et le dépôt attend les mis en cause. Qui  seront probablement bientôt mis en examen.
Ah, j’oubliais ; une autre grosse affaire est tombée, entre temps. Lundi, c’est reparti comme en 40 !
Sauf que, en plus, je suis de permanence pour le week-end. Enjoy.