mercredi 29 mai 2013

L'enquête des C

~ La couille ~

     Nous sommes vendredi, il est midi. J'entre dans un logement à deux pas du commissariat. La porte est jusque là verrouillée de l'intérieur (je note intérieurement) mais les sapeurs pompiers ont ouvert après être entrés dans l'appartement.
     Nous progressons dans la pièce principale en prenant soin de n'emprunter qu'un seul chemin et de repasser sur nos traces. Nous ne portons que des sur-chaussures et des gants. Le reste de l'équipement, on ne le voit qu'à l'I.J (Identité Judiciaire), ou dans les séries où ils ont un tas de fichiers inutiles (genre fichier des traces de pneus dans le sable: j'enlève mes lunettes, je pose de 3/4, vous voyez la gueule de con ?). Au fond du deux pièces fonctionnel, propre mais minimaliste au niveau déco, se trouve une chambre, un banc de musculation (je note), et un lit deux personnes limite crade (pas besoin de noter je ne l'oublierai jamais). Lit sur lequel repose le corps d'un homme, que la vie a vraisemblablement quitté.
     Ici débute une des enquêtes qui m'a probablement le plus marqué.

~ Le cheminement ~

     Un vendredi comme je les aime. De permanence matin avec mon chef de groupe, nous sommes sur le point d'être relevés. Je n'ai pas encore la qualité d'officier de police judiciaire, car l'arrêté de nomination n'a pas encore été publié. Je suis au début de ma carrière. La semaine a été longue et chargée. Je suis content qu'elle soit proche de se terminer.
     Tout est calme, le travail ne manque pas mais nous avons bien avancé sur les dossiers. Si tout se passe bien, on pourra se faire une petite "semoule" bien relevée ce midi. Une tradition. Youssef (le prénom n'a pas été changé), nous attend.
     11h43, l'appel tombe. Découverte de cadavre. Les sapeurs pompiers ont été appelés pour un homme ne répondant plus aux appels. Ils sont entrés en brisant une baie vitrée au sixième étage d'un immeuble récent mais vieux avant l'âge. Ils y ont trouvé un homme mort. Aucun détail ne nous est communiqué, nous sommes attendus sur place. Ça commence fort.
     Mon chef de groupe vient me chercher et me dit mot pour mot "allez viens bitos, tu vas voir comment on gère un macchabée en vitesse". J'attrape mes affaires et nous y voilà. C'est "à deux pas" qu'il me dit en plus, "tu vas voir c'est du gâteau".

                                                       ~ Le con ~

     Nous nous y rendons d'un bon pas, il rigole. Il me fait la leçon, lui l'ancien face au lapin de six semaines que je suis. Je me souviendrai toujours de sa tête. Avant et après. Nous n'avons pas mangé de semoule ce jour là, pourtant on a fait de l'huile. Il fait beau, tout le monde est content. Les femmes sont courtement vêtues, la vie est belle. De la merde oui ...
     Nous entrons dans l'immeuble, qu'un membre de l'équipage de voie publique a pris soin de laisser ouvert, et grimpons au sixième étage.

~ Les premières constatations ~

     Les pompiers ne sont plus sur place. Les maigres infos ont été données aux collègues de voie publique qui gardent les lieux. Manifestement, ils n'ont pas pris de précautions particulières dans l'appartement, rien de suspect n'ayant été relevé. Super. Il faudrait organiser des stages inter-services pour comprendre les impératifs en judiciaire (on me souffle à l'oreille que ça existe ... ).
     Toutes précautions d'usage prises - sous réserve de ce que j'ai dit plus haut - nous avançons dans le salon. Je note la présence d'une lettre tapée à l'ordinateur et imprimée, et d'un gros rouleau de film plastique sur la table de la pièce principale. Du type qui emballe les palettes dans les entrepôts. Tout ça n'annonce rien de bien sain.
     Arrivée dans la chambre, à 2m50 de la table de la pièce principale. Outre le banc de musculation, je remarque la présence de cinq unités centrales d'ordinateurs empilées. Les façades latérales sont absentes. De plus en plus étrange. Je n'aperçois aucun disque dur. De mieux en mieux. Ou de pire en pire selon le point de vue.
     Puis je me retourne sur le corps. Au milieu du lit, les bras en croix, dont l'un passe sous le fin matelas, git le corps d'un homme de vingt cinq ans à vue de nez. Enfin je dis ça mais on ne voit pas son visage. Il est masqué par ce même film plastique - bien épais - qui semble en faire le tour plusieurs fois, vu l'opacité. Le défunt (j'écris défunt mais en fait je n'en sais rien n'étant pas médecin) ne porte qu'un slip souillé par l'épreuve qu'il semble avoir traversée. Il repose sur le dos (décubitus dorsal, plus de détails par ici).

     Petite précision : en province, du moins pour ce que j'en connais, un médecin (légiste en général) se déplace quasiment systématiquement sur les découvertes de cadavres. Cela permet de faire un tri non négligeable sur les enquêtes qui en méritent une et celles qui sont "pliées d'avance". Et plus important un certificat de décès est établi. A Paris, c'est assez rare, si ce n'est éventuellement le praticien du SMUR ou SAMU (cas des décès sur la voie publique) ou lorsqu'un médecin est présent dans l'équipage des SP (Sapeurs Pompiers). Bien souvent donc, aucun certificat de décès n'est délivré.   
     Vous enquêtez donc parfois sur un corps pour rechercher les causes d'une mort qui n'a pas été établie de manière officielle. Et, oui,  nous ne sommes plus à une aberration près. 
     En l'espèce, je n'avais pas de certificat de décès. Le corps de ce pauvre homme devait probablement se situer aux frontières du réel. Quelque part entre le Styx, le port de l'Arsenal et le canal de l'Ourcq.

     Le corps est plutôt "frais", peu ou pas d'odeur, ce qui implique une mort récente vu le temps clément et les températures agréables (nous sommes au printemps), nous le manipulons avec précaution, la rigidité cadavérique (définition) - rigor mortis - est présente dans les membres inférieurs. Des lividités cadavériques sont installées sur les parties basses du corps non comprimées, soit au dessus des parties en contact avec le matelas, gravité y compris (explications par ). Nous ne parvenons pas à retourner le corps pour autant, il n'est pourtant pas bien épais ... Mon chef de groupe s'avance sur le lit et enjambe le corps, je fais le tour du lit. Là je me liquéfie et je lui hurle "descends de ce putain de lit tout de suite".

~ La chiure ~

     Je comprends pourquoi le corps ne peut être retourné. Les deux bras sont attachés au cadre du lit, par des liens de corde fine tellement tendus qu'ils s'enfoncent dans les chairs. On ne les voit pas. Ils sont courts, et ne permettent aucun débattement. Sous le choc, je ne vérifie rien d'autre.
     Cloué, les questions fusent dans ma tête par dizaines: qu'ont touché les pompiers ? Les collègues ? Qu'avons-nous touché ? Quels ont été les chemins empruntés dans l'appartement ? Ce gars était-il seul au moment de sa mort et si non, qui se trouvait dans l'appartement à cet instant ? L'angoisse.

     Premier réflexe, tout le monde dégage de l'appartement. On appelle en urgence le magistrat de permanence criminelle, lequel annonce son arrivée sur les lieux en compagnie de collègues de la Brigade Criminelle en observateurs. Demi maul (petite blague privée à destination de l'entente rugby du 36 Quai des Orfèvres dont les membres ne liront pas ce billet).
     Débarque le chef d'unité, et le chef de service, prévenus aussi. Oui, la police est une institution hiérarchisée. Le chef d'unité est un mec solide - professionnellement parlant - bien que taillé à la serpe dans une brindille sèche. Il conseille et oriente, sans prendre la main. Il assure. Plus que moi (je note).
     Le temps que le "Proc" débarque avec les saigneurs de la Crim', sont sorties du chapeau - comme de bizarre - des tenues complètes de "scènes de crimes" nous permettant de poursuivre les investigations (Article 22 du règlement général d'emploi: "démerde toi comme tu peux"... ). La tenue coton-tige. Les voies des fournitures administratives étant désormais pénétrables, nous pouvons dès lors, sans crainte mais avec prudence, arpenter les lieux.

      Ndlr: A l'occasion de cette enquête, j'ai fait l'objet d'un prélèvement A.D.N, en vue de la "désincrimination" (veuillez pardonner le néologisme), tout comme mes collègues. Rien de choquant selon moi, mais ceci est une autre histoire. 

      On évite, autant que faire se peut, de manipuler le corps (le mal a déjà été fait vous me direz) mais on inspecte surtout. Il ne semble y avoir aucune trace de coup sur ce dernier, pas de plaie visible, aucune contusion, nous n'en sommes pas moins des non spécialistes.    
      Les liens sont vraiment tendus, sans marge de manoeuvre. Impossible de voir pourtant comment les liens ont été effectués, ceux-ci étant trop profondément ancrés dans les chairs. Hors de question d'y toucher avant l'arrivée de la Crim'. Et putain, ces ordis rangés impeccablement sans disque dur, ce banc de musculation, le back ground semble super glauque ...
 
      Le rouleau de film est sur la table, à trois mètres cinquante du corps, en léger décalage avec l'entrée de la chambre ce qui impose de décrire un virage. Or, la tête est entourée d'au moins trois à quatre tours dudit film, opaque au possible. Comment imaginer que cet homme a pris le soin de laisser une lettre  annonçant son suicide, posée à côté du rouleau, s'est enroulé la tête puis est allé s'attacher - à poil ou presque - au cadre du lit, de manière aussi déterminée ?

~ "La crim" ~

      On nous annonce l'arrivée du substitut de permanence ainsi que des collègues de la Brigade Criminelle. L'affaire tombe au plus mal, ils sont sur une autre enquête qui monopolise toutes les ressources du service, autrement plus médiatisée. Ils annoncent la couleur d'emblée, le substitut le sait (c'te connerie). Et oui, la Crim' a un certain poids. Ils en imposent, alors qu'en fait ils font caca comme moi régulièrement. Question d'aura probablement. Certains en abusent, eux sont plutôt détendus.
      Nous leur faisons un compte rendu des premières constatations, de la disposition du corps et des éléments plus que troublants relevés. Ca leur fait bouger une couille sans frôler l'autre. Question d'habitude probablement.
      Ils sont plutôt sympathiques mais la manière dont ils vont procéder est étrange. Ils s'équipent avec le substitut et pénètrent seuls dans l'appartement. Après quinze minutes, ils ressortent et nous demandent d'entrer. Les visages sont fermés. J'ai l'impression de passer sur le grill . Qu'avons nous raté ?
     Nous nous dirigeons vers le corps et nous penchons plus sérieusement sur les liens. L'un deux est un noeud coulant ... Il ne leur en faut guère plus.
     Le verdict est sans appel pour la Crim', il s'agit d'un suicide. Les regards se croisent, substitut, crim', poulets de batterie, taulier, dans le désordre. Tout ça me paraît un peu prématuré mais bon, passons. Le magistrat nous laisse saisis de l'enquête, moment que le chef de service choisit pour manquer de s'étouffer. Nous recevons pour instructions de mener enquête (sur les bases de l'article 74 du Code de Procédure Pénale donc, rien ne paraissant suspect à ce stade ...) en vue de l'autopsie qui doit avoir lieu au plus vite. Avec assistance des enquêteurs, donc bibi et son chef de groupe. Au moins, la transmission rapide de la procédure n'est pas nécessaire comme c'est le cas pour les autopsies sans assistance.
     Autant vous dire que nous n'étions pas plus nombreux à bosser sur l'enquête, d'où l'étouffement du patron. Les collègues rompus à la procédure qui me liront imagineront sans mal.
     Le substitut et la crim' étant partis, il ne reste que nous, et un grand moment de solitude à venir (un ange passe, les ailes plombées d'une procédure épaisse). Pas la peine de vous préciser que pour le couscous de midi, c'était baisé.

~ Les conclusions ~

     Nous avons donc bossé comme des chiens, sur les constatations, l'ensemble des scellés à réaliser (après exploitation des traces et indices), le cheminement possible des personnes éventuellement présentes avec lui au moment de sa mort (directions de fuite, vidéos éventuelles, enquêtes de voisinage, etc ... ). Aucune hypothèse n'était écartée.
     Nous avons été contactés par son employeur et auditionné ce dernier, lequel avait reçu la même lettre alambiquée et dactylographiée dans laquelle il annonçait son départ pour ailleurs (le lien avec les ordinateurs dépouillés de leurs disques durs me trottant dans la tête). Lettre reçue le jour de la découverte du corps, par voie postale. Nous avons entendu le peu de familiers restants, et qui sais-je encore. Nous avons fouillé son passé, un peu glauque, sa vie, ses moeurs ... Nous avons envisagé plusieurs scénarios, mais rien ne permettait d'en dégager un qui soit totalement convaincant. L'autopsie a été donc été conduite, sur la base d'un "fouzitou" d'idées, et en n'excluant aucune piste. Une autopsie longue, très longue, complète, soit environ cinq heures.
     Les liens - qui sont dans ce genre de cas laissés intacts in situ lors du transport du corps - ont été coupés sur le cadre de lit puis méticuleusement inspectés par un spécialiste. Il y avait bien un noeud "fixe" et un noeud coulant. Les conclusions de cette enquête me hantent parfois, puisqu'aucun élément suspect n'ayant été mis à jour, c'est la thèse du suicide qui a été retenue. Bien évidemment, tous les prélèvements nécessaires pour la recherche de toxiques, médicaments, stupéfiants, et imprégnation alcoolique ont été effectués. Les résultats ne sont pas immédiats en revanche. Ils n'ont rien appris de plus. L'enquête a donc été clôturée.  
     Et le suicide privilégié.

     Sentiment d'inachevé donc, d'élément qui t'échappe. Probablement la raison pour laquelle je pense toujours à cette enquête qui pour moi n'a jamais été close. Comme un flottement quand j'y pense, peut être l'impression d'avoir raté quelque chose, puisqu'en définitive, une thèse a été retenue par dépit, du fait de l'impossibilité d'en démontrer une autre. Et pourtant, ce ne sont pas les faits troublants qui manquaient. Imaginez donc que ce garçon a, sobrement, préparé deux lettres annonçant son désir d'en finir avec la vie pour en poster une chez son employeur, avec le risque qu'elle arrive avant. Puis aurait rangé ses ordinateurs en prenant soin de se débarrasser de l'ensemble de leurs disques durs (on se demande bien pourquoi, mais surtout où). Puis aurait préparé méticuleusement deux liens, dont un ouvert puisque fixe et l'autre coulant.
     Enfin, il aurait entouré son visage de film plastique (l'autopsie aura révélée quatre tours et demi au total), posé le rouleau sur la table, parcouru le chemin jusqu'à son lit, avec la difficulté que vous pouvez bien imaginer, aurait attaché un de ses poignets avec le lien fixe, puis passé son bras dans le lien coulant. Quand on pense à la volonté nécessaire pour accomplir tout ça en se sachant dans l'impossibilité de respirer (sans parler du stress), on se dit que la détermination sans faille déployée aurait fait merveille s'il avait choisi la vie.
     Et si maintenant je vous apprends que la porte verrouillée de l'intérieur avec les clefs engagées dans la serrure pouvait être ouverte ou fermée de l'extérieur sans difficulté à l'aide d'un second trousseau, je ne doute plus du fait que vous allez - vous aussi - vous poser quelques questions.

     J'ai entendu une phrase très juste dans une série policière que je trouve très bien réalisée et que j'adore ("Southland" pour les curieux) : "Un jour ou l'autre un flic doit apprendre qu'il ne peut pas sauver tout le monde". En effet. Ce que j'ai appris de cette enquête et qui n'en est pas moins vrai, c'est qu'un flic ne peut pas toujours avoir les réponses aux questions qui lui sont posées.
     Et ça, c'est tout aussi dur à accepter.

     Flam

mercredi 22 mai 2013

Lettre ouverte à la représentation nationale

Avant tout, je m'adresse à vous, lecteurs de ce blog. Peut-être avez-vous parcouru ce billet paru voilà juste deux jours, et qui faisait état de cette triste affaire que celle de la mort d'Aurélie Fouquet, jeune policière municipale tuée par balle voilà deux ans.

Celui-ci fait suite à une conversation s'étant déroulée sur Twitter (mon contradicteur se reconnaîtra sans difficultés), et a pour but direct de proposer la mise en place d'une nouvelle mesure ayant pour but de réduire les risques de récidive/réitération d'individus ayant pu être dangereux, susceptibles d'obtenir un avis favorable de libération anticipée. 
La seule chose que je puisse demander, à mon niveau, c'est que cette mesure, que je propose, soit au moins "étudiée", réfléchie, certainement adaptée, par nos représentants nationaux. Et pour ce faire, le mieux est encore que ce billet soit diffusé par tous moyens. 
Bien évidemment, je me chargerai personnellement d'une diffusion directe, mais plus nous serons nombreux, et plus la simple étude sera possible, et, pourquoi pas, reprise par un député. 
Je vous demande donc, simplement, de "retwitter" la diffusion de ce billet ou son lien en mentionnant le pseudo d'un ou plusieurs députés, s'il est sur Twitter; faites-lui parvenir le lien du billet. Peut-être que certains le liront.
Rassurez-vous, je ne suis pas devenu fou durant la nuit, et j'ai ma petite idée sur les chances de réussite, qui sont à peu près égales à celles de gagner au Loto.
Ce qui n'empêche nullement d'essayer. 

Madame, Monsieur le Député, 

Le drame de Villiers sur Marne est survenu voilà maintenant 3 ans. L'un des protagonistes présumé, Redoine Faid, toujours en cavale, est mis en examen dans le cadre, entre autre, de cette tragique affaire. 
Cet individu est loin de pouvoir être considéré comme "le perdreau de l'année", en terme de banditisme. 
Auteur, entre les années 1995 et 1997 d'au moins trois braquages (ceux, en tous les cas, pour lesquels il a été mis en examen et condamné), il a été libéré en 2009 alors qu'il avait été, au préalable, condamné à 18 ans de réclusion criminelle. Le calcul est simple, il est en fait sorti au bout de 10 ans. Alors que, chaque infraction commise, pour lesquelles il a été condamné, était passible de dix ans minimum d'emprisonnement. Pour rappel des faits, il a été condamné pour le braquage d'une entreprise, un braquage de banque, et le braquage d'un fourgon blindé (Villepinte, 1997) au cours duquel il n'a pas hésité à faire feu sur des policiers. 
Il ne s'agit pas, ici, de blâmer quelque personne que ce soit. La chaîne judiciaire a œuvré  dans son ensemble, et selon les règles en vigueur. Celles-là même qui sont votées au sein de la représentation nationale, par l'Assemblée Nationale et le Sénat. 

Ce cas de figure est tout de même assez rarissime en ce sens qu'il conduit, quelques mois après libération, au meurtre; dans le cas présent, celui d'une policière. Pour autant, les cas où des profils à peu près similaires sortent de prison sous libération conditionnelle le sont beaucoup moins. 
Certes, ceux autorisés à sortir par le Juge d'Application des Peines le sont sur la base d'un dossier jugé "solide". Je pèse mes mots parce que, au final, si le dossier en lui-même présente bien, rien n'est moins certain pour ce qui va advenir à compter de la sortie du condamné. Les travailleurs sociaux, et autres Conseillers d'Insertion et Probation sont, rien que dans leur profession, en nombre limité, avec les moyens en proportion. Très insuffisants au regard de la tâche à accomplir pour être efficaces, je ne vous apprend rien. En tous les cas tels que la société serait en droit de l'exiger. Là encore, il ne s'agit de les pointer du doigt, tant leur métier est difficile, et qu'ils font ce qu'ils peuvent avec, comme l'on pourrait dire, avec les moyens du bord. 

Mais il faut reconnaître que libérer, en conditionnelle, des personnages comme Redoine Faid, voir même Christophe Kidder (qui a déjà prévenu qu'il allait s'évader), relève du pari. 
Soit on le laisse sortir, et la conditionnelle réussit, et ce pari est dit "gagnant/gagnant" pour l'individu comme pour la société  soit, si elle ne réussit pas, elle peut conduire à un futur tel qu'on a pu le voir; même s'il ne mènera pas toujours, heureusement, au meurtre. 

Il manque donc un échelon intermédiaire qui puisse réguler cette confiance qu'on pourrait apporter à ces détenus ayant pu être dangereux, face au risque pris. 

J'en arrive au propre de ma proposition. Pourquoi ne pas imaginer un service (dépendant de la police judiciaire) qui puisse "surveiller" cette portion d'individus de manière active, dès leur sortie ? 
Il s'agit-là non pas d'une surveillance "H24", où il est question de suivre, en permanence le sujet, mais plus d'une sorte d'enquête de réinsertion qui se ferait dans l'ombre, sans même forcément prendre contact physique avec l'individu, de préférence sans même qu'il s'en aperçoive. 
Cette surveillance pourrait se dérouler de la même manière qu'une enquête de police ayant pour but de rechercher l'auteur d'une infraction. A la différence qu'elle vise, là, à contrôler la réinsertion de celui qui est désormais ex-détenu. Elle doit viser avant tout le respect de la probation, des obligations faites au détenu libéré  mais aussi vérifier, tout simplement de son environnement, de ses règles de vie. Concrètement, veiller à ce qu'il soit effectivement présent à son travail, évaluer son environnement et les risques liés, vérifier le fonctionnement des comptes bancaires (tels que ce que l'on pourrait attendre du "bon père de famille", de sa téléphonie ... ). 
Il s'agirait de procéder à une classification de la surveillance. Rouge pour un suivi permanent, orange pour un suivi plus espacé  et jaune pour un suivi plus détendu (bi-annuel, par exemple). Cette mesure étant décidée, par le Juge d'Application des Peines, pour un temps bien déterminé. 
A cet instant, les enquêteurs feraient un "rapport" au magistrat, lequel jugera, sur la foi de cette procédure, de la bonne réinsertion du sujet. Auquel cas, il sera totalement libre, ou alors, s'il est jugé potentiellement dangereux, une autre mesure pourrait être décidée, comme le retour en prison. 

Pour autant, ce dispositif, qui engendre forcément des coûts humains, en matériels, ainsi qu'un budget de fonctionnement, se doit d'être limité à certains cas jugés potentiellement"à risques", de par la nature des faits pour lesquels les individus ont été condamnés (notamment les vols avec armes, et autres homicides) pour lesquels il semblerait que la justice, par le biais d'un Juge d'Application des Peines, serait encline à tenter la libération anticipée. 

Il ne s'agit aucunement d'encombrer de tels services, lesquels verraient alors leur efficacité amoindrie. Il me semble que ces entités seraient en capacité de fonctionner par groupe de 5 fonctionnaires par département, le chiffre devant être revu à la hausse sur des grosses agglomérations, fonction également de la densité de la population criminogène. 

Il me semble qu'un tel dispositif, s'il ne règle pas la totalité du problème de réinsertion de détenus ayant pu présenter un risque, pourrait, en tous les cas, juguler le problème, et limiter les risques. 

En espérant avoir quelque peu retenu votre attention, et vous remerciant d'avoir lu, Madame ou monsieur le Député, veuillez agréer, Madame, monsieur le Député, l'expression de ma considération distinguée. 


l'un d'entre eux aura-t-il l'audace de reprendre l'idée d'un "simple" flic? 



lundi 20 mai 2013

3 ans...

3 ans que ce drame est survenu. Et je me souviens de cette période comme si c'était hier.
Alors que je devais publier un billet tout autre, l'actualité me rattrape...

3 ans qu'Aurélie Fouquet a été tuée alors qu'elle intervenait pour un accident de la circulation.
Accident qui a mis aux prises une bande de malfaiteurs lourdement armés, et qui n'a vu dans le véhicule de police municipale qui approchait, que le risque d'être interpellé. Groupe qui n'a pas hésité à faire feu, à l'arme de guerre, faisant un mort et sept blessés.


Aurélie Fouquet était maman d'un enfant de 19 mois, à l'époque.

Même si j'étais affecté, à l'époque, à la Brigade de Répression du Banditisme de Paris, je n'ai pas participé à l'enquête. Si ce n'est aux multiples interpellations qui se sont déroulées, notamment à Creil.
Jour où, comme de par hasard, Redoine Faid était "absent" de son domicile. La même semaine où un reportage dédié à "Redoine, braqueur repenti" était diffusé sur Canal +". Le hasard ...

Je me souviendrai longtemps de la diffusion de ce reportage. J'étais abasourdi, en voyant les images défiler ... Ce mec qui, tranquillement, racontait comment il avait fait feu sur des policiers à Villepinte, lors du braquage d'un fourgon blindé, en 1997. Aucune once de regret, dans ses paroles. C'en était presque normal, de faire feu. Ce soir-là, c'est une envie de vomir, qui m'avait parcourue le corps, puis la colère. Alors même que son interpellation était programmée la même semaine, alors même que certains d'entre nous allaient se rendre à son domicile pour tenter de l’interpeller, lui enchaînait, narcissiquement,  les interviews et plateaux télé.

Je rappelle tout de même que, chronologiquement, alors même qu'il écrivait son livre, se déroulait cette fusillade qui a coûté la vie à Aurélie Fouquet; meurtre pour lequel il est mis en examen et même suspecté en être l'instigateur. Ce n'est pas moi qui le dis, mais les juges qui l'ont mis en examen. Même s'il reste "présumé" innocent. A l'instant présent, ce mot "présumé", que je suis obligé d'écrire, il fait mal...

Comment, au 21ème siècle, un homme condamné peut-il se construire une notoriété sur ses crimes, un peu comme un héros moderne ? Comment les médias ont-ils pu s’intéresser à cet homme, l'ériger en personnalité publique fréquentable ? J'ose espérer que l'histoire leur aura servi de leçon, mais je n'en suis pas sur.
Plus jamais on ne doit médiatiser ces voyous; tout repenti qu'ils se disent être.
Comment un voyou, tout repenti qu'il se dit être (je me répète, mais j'insiste), peut-il se faire de l'argent sur les crimes commis ?
Cet homme qui va voir Michael Mann, réalisateur du film "Heat" (1996) en lui disant être inspiré par son film. Celui-là même qui va jusqu'à mettre un masque de Hockey sur Glace, lors du braquage, comme dans ce même film ...

Alors quoi ... On braque, on fait feu sur des policiers, au risque de les tuer VOLONTAIREMENT, bien sur, on fait sa petite peine de prison (allez voir cette infographie le concernant, ici) et derrière, on va voir les journalistes, sort un bouquin, fait des reportages télé, et donc, on se fait de l'argent... Directement en lien avec les crimes commis. Comment est-ce possible?
A partir du moment où il est démontré qu'un homme a fait feu sur des policiers, volontairement, on peut logiquement en déduire que cet homme n'a plus aucune morale. Que rien ne l'arrêtera dans sa volonté. Sauf peut-être...

Et, comme un aveu, ayant bien conscience qu'il n'allait pas sortir avant bien longtemps de prison, Redoine Faid s'est évadé. C'est donc dans ces circonstances que l'on se souvient, que l'on rend hommage à cette jeune policière ...

Je ne peux que souhaiter que Redoine Faid soit rapidement retrouvé. Et qu'il réintègre l'endroit qu'il n'aurait jamais dû quitter.
Redoine Faid fait partie ce ces criminels qui ne devraient jamais sortir de prison, qui n'est pas réinsérable. Le croire, c'est se voiler la face, et surtout ne pas le connaitre, ne pas connaitre ce genre d'individu. En tous les cas, tels qu'ils sont. La comédie, pour eux, c'est devenu tellement facile...
Je ne citerai pas de noms, la loi me me l'interdisant, mais j'en ai vu, se construire des emplois fictifs pour sortir de prison. J'en ai même vu un se faire employer dans un cirque.... un pied de nez à tout le système.
Comment dire...
"C'est facile, après", allez-vous me dire... peut-être...
Mais notre système actuel est totalement dénué de moyens de contrôle face à tout ceux qui sortent sur "dossier". On en revient toujours à la même chose... Si tant est que la société,  nos politiques en tête, le veuillent, avec quels moyens ?

 Mes propos choquent très certainement. Mais je les assume. Certains vont me dire que ce billet est "populiste", ou n'est que l'expression de l'émotion, dépourvu de tout sens critique, de tout sens juridique... Mais c'est oublier que la justice, avant d'être des livres, avant d'être des textes... La justice, c'est la vie, que lorsque je cherche définition du mot justice, j'y lis "caractère de ce qui est juste"... Cette notion peut paraître vague, mais tout de même...

Bref, c'est une matinée coup de gueule.... mais, c'est la seule chose qui me soit venue à l'esprit ce matin.
En ce sens, je ne peux que me féliciter des annonces de Manuel Valls; même si, avant-même cela, je n'avais aucun doute quant aux moyens mis en place, et à la motivation des collègues chargés de cette affaire.

Une énorme pensée à Aurélie Fouquet, à son enfant, sa famille... Que l'avenir leur apprenne à vivre avec ce drame.

J'en ai terminé, vous pouvez désormais retourner à vos occupations.



dimanche 12 mai 2013

Ordinary man

   C'est en écoutant le titre de Chinese Man, de l'album Groove sessions vol. 2 (Chinese Man Records), que m'est venue l'idée de ce billet. L'histoire d'un mec ordinaire, que rien ne destinait au demeurant à se retrouver devant moi. Une histoire triste.
   Et pourtant. Pourtant j'adore ce morceau, ce n'est pas lui rendre hommage (vous voulez un lien ? --> ).
   J'étais alors dans mon premier poste, dans un service d'investigations (pour plus d'explications, je vous invite à lire mes premiers billets, ici et ). Un week-end de permanence comme il en revient toutes les trois à quatre semaines dans ce genre de service.    
   Croyez-moi, vous chérissez vos samedis et dimanches de repos. Parce que la semaine vous bossez (le rythme hebdomadaire basique d'un policier - en cycle hebdomadaire - est en principe de 40h30).
   Ce samedi donc, je prenais la permanence de matin (6h30 - 14h30). 
   Dix gardes à vue au compteur, du boulot mais rien d'insurmontable. Les permanences décalées ne sont en général montées que par deux effectifs. Je me trouvais en binôme avec un ancien, un brigadier chef qui avait (a toujours en fait) trois fois plus d'années de "boîte" que moi. Il se dirige aujourd'hui vers une belle fin de carrière, fort de l'expérience qu'il a acquise dans ses précédents puis auprès de mes mentors. Bon vent l'ami, mais ne pars pas trop loin, tu me dois un verre.
   C'était un samedi comme je les vomis. Peu de sommeil et trop d'abus, pour cause de soirée à la maison, je pris péniblement la rame qui me menait aux bureaux de la permanence du commissariat, concurrençant par là les "cloches" des souterrains, manifestement bien plus frais que moi. J'effectuais la relève, et buvais du bout des lèvres un mauvais café lorsque la première présentation (une affaire, un flagrant délit en général, effectuée par les collègues de voie publique est présentée pour appréciation à l'Officier de Police Judiciaire de permanence). Bibi donc si vous suivez. Imaginez ma gueule. Ceux qui me connaissent n'auront aucun mal.
   Une belle affaire. Deux toxicomanes qui venaient de cambrioler le pavillon d'un familier, pris la main dans le sac avec le butin. Du miel (copyright @Elvis). Garde à vue (droits subséquents bien évidemment, dont il me semble inutile de parler encore une fois, non ? ), fouille du véhicule, auditions, on avançait au plus vite le dossier qui valait mieux que les "petites" affaires de la nuit, elles-mêmes déjà avancées (par là, j'entends les enquêtes ne nécessitant que peu d'investigations et pour lesquelles une décision du magistrat peut être rapidement obtenue). Cette nuit là, petites elles l'étaient, heureusement.
  Quand arriva mon champion.
  Un "flag", authentique, en pleine rue. Je rappelle à cette occasion que tout citoyen est fondé à procéder à l'arrestation de l'auteur d'un crime ou délit flagrant dont il est le témoin. Ceci découle de l'article 73 du Code de Procédure Pénale (par ), dont personne n'est censé ignorer les termes. A bon entendeur. Un homme, ordinaire, en apparence, qui après de trop longs déboires, en venait ce samedi matin pluvieux à foutre sur la gueule de Madame. Lui "bomber la guérite" comme on dit souvent.
Devant quatre témoins, oiseaux de nuit de passage (la référence musicale n'aura pas échappée aux plus attentifs). Epic fail.
   Il m'est donc présenté à la permanence par les effectifs interpellateurs. Compte rendu, invitation à être entendus des témoins, présentation de la future plaignante. Stupeur, elle a la tête comme un compteur à gaz (probablement l'expression la plus usitée chez nous), elle saigne du nez, l'oeil boursouflé, la lèvre ouverte. Il a eu la main lourde manifestement. Elle a refusé les soins des Sapeurs Pompiers bien évidemment appelés par les collègues.
   Je place Monsieur en garde à vue, avec notification différée de ses droits, celui-ci étant passablement "beurré comme un petit Lu". Nous tentons de le faire souffler dans l'éthylo histoire d'avoir une idée du taux d'imprégnation, mais il est odieux, arrogant, vindicatif. Il refuse. Ca ne va pas arranger ses bidons.  
   Ce n'est pas à vous, ou du moins certains d'entre vous, que je vais apprendre que la viande saoule est la plupart du temps peu coopérative ...  Il me menace de me poursuivre devant tous les tribunaux subsistants à ce jour. Je lève l'oeil droit, prend mon air le plus intelligent (type bovidé flegmatique) et je l'ignore royalement pour le moment, sentant pourtant monter les abeilles en moi. Il passe donc par la case dégrisement.
   La plaignante est entendue sur les griefs qu'elle a à formuler contre ce dernier. Elle souhaite déposer plainte. Nous lui expliquons patiemment les conséquences que vont entraîner la procédure qui débute, pour lui comme pour elle, qu'elle choisisse de déposer une plainte ou non. Dans les textes aucune différence, le Procureur étant le seul décisionnaire quant à la suite à donner aux plaintes. Dans les faits, il est certain qu'une procédure pour laquelle la "victime" (j'en vois bondir au fond de la salle) ne dépose pas plainte a tout de suite moins de poids. Logique imparable.
   Le couple n'a pas d'enfant. C'est déjà ça. Nous abordons l'histoire du couple, les difficultés, la survie (ils résident dans un ensemble généralement appelé "cité pourrie" - la terminologie a été changée -  difficile de l'arrondissement), éléments qui nous amènent au motif de la dispute qui nous concerne présentement et aux coups qu'elle déclare avoir reçus. Une accumulation de non-dit, de suralcoolisation, et cette nuit d'ouverture de vanne. Heureusement d'ailleurs qu'il n'avait rien en main à cet instant, compte tenu de la violence des coups portés. Elle ne serait peut être plus là pour en parler. Ca arrive, souvent, soit dit en passant.
   Aux alentours de treize heures, l'intéressé semble être revenu à de meilleurs sentiments. Il refuse toujours de souffler, néanmoins, il semble lucide et en mesure de comprendre la portée de la mesure prise à son encontre et les droits qui en découlent et que je m'apprête à lui notifier.
   Il comprend parfaitement, il me déclare vouloir assurer seul sa défense, et ne pas vouloir être examiné par un médecin. Et oui, Mesdames et Messieurs les avocats, ça arrive fréquemment, contrairement à ce que vous semblez croire. Soit. Je choisis pourtant de l'envoyer voir un médecin car il est porteur de marques, plutôt des griffures, semble t'il défensives de la part de Mme. Normal. Il me faut donc envisager qu'il se voit délivrer une I.T.T (Incapacité Temporaire de Travail, notion "abstraite" qui permet de fixer des seuils en matière de violences notamment, et qui a trait à la durée pendant laquelle les actes habituels de la vie courante peuvent être entravés, gênés voire devenus impossibles : plus de détails par ici ). Cette même I.T.T qui sera octroyée à Madame (pas la "même", mais sur le même fondement). Car nous enquêtons à charge, mais également à décharge. Certains à la chevrotine. En l'espèce il a des blessures vraisemblablement consécutives aux faits, je dois les faire constater et permettre au praticien de les "chiffrer". Je dresse donc réquisition à cette fin.
   Je suis relevé par les collègues d'après midi, mais je décide de rester pour continuer à bosser sur la procédure, n'ayant rien de mieux à faire que de prendre un bon repas et du repos.
   Je suis destinataire de l'I.T.T de la plaignante dans le même temps. Elle s'est vue octroyer six jours tout de même, les blessures étant "importantes", plus sûrement impressionnantes d'ailleurs, mais pas de nature à occasionner une gêne véritable dans les actes de la vie courante.
   Quant à Monsieur, le "car" (comprenez le véhicule dédié) chargé du transport pour qu'il aille se faire examiner par le médecin n'est pas disponible. J'ai donc largement le temps de procéder à son audition. Ne restera alors que l'examen médical, une nouvelle audition, une confrontation comme souvent dans ce genre d'affaires.

   Je vais le chercher en cellule. Il a retrouvé, comme moi - après dégrisement - figure humaine. Ici, les cellules sont confortables et propres, modernes car récentes. J'ai connu bien pire croyez moi. Je monte à la permanence et m'installe sur un pc. Grande identité (nom, prénom, date et lieu de naissance, domicile, téléphone, filiation, enfants, permis, antécédents judiciaires, addictions diverses etc ...), histoire du couple, déboires éventuels, back ground professionnel ...
   On vise large pour essayer de comprendre. Puis on en vient aux faits qui l'emmènent devant moi. Je lui demande de me raconter sa soirée jusqu'au moment de son interpellation.
   Je le laisse parler, il me raconte sourire aux lèvres qu'il n'a rien fait. Je me fissure ("visagalament parlant"), j'ai quatre témoignages concordants qui établissent qu'il lui a courageusement bombé la paillasse. Ça commence mal, il se marre, commence à hausser le ton alors même que je n'ai pas posé de question directe pouvant mettre à mal sa version. Mon binôme,  resté lui aussi pour avancer le dossier de cambriolage, me voit fulminer, assis en face de moi. Il jubile, il est d'un calme à faire peur. Les collègues se succèdent dans le bureau, posant diverses questions au sujet des dossiers en cours. Je n'écoute même plus.
   J'attaque donc dans le bois dur, posant les questions qui fâchent. Je le bombarde, il reste de marbre mais il commence lui aussi à monter en pression. Je commence à hausser le ton. Quel intérêt auraient quatre personnes qui ne le connaissent pas, à déclarer de concert, et de manière concordante qui plus est, qu'il a porté de sérieux coups à sa compagne ?
   Réponse: ce sont tous des menteurs, Madame la première ...
   Enfin, plus exactement, c'est lui qui dit la vérité. Les gardés à vue ont une fâcheuse tendance à ne pas répondre aux questions qui leur sont posées, du moins pas directement.
   Je lui apporte les éléments à charge qui ressortent de la procédure, un par un, les détails des coups décrits par les témoins et qui collent avec les déclarations de sa compagne, plaignante. Il ricane. Je hurle. Il me demande pourquoi je lui crie dessus. Beaucoup de monde dans les bureaux se demande pourquoi d'ailleurs. C'est vrai, les violences conjugales ne sont "pas du tout" la marotte du Parquet. Je lui explique les conséquences possibles de ses actes, la politique actuelle dans ce genre de faits, et le sens de l'humour relatif des magistrats face à de telles déclarations appuyées par des éléments. Il est vrai que bien souvent c'est la parole de l'un contre la parole de l'autre, si ce n'est les traces de coups éventuelles. Bien que rien ne puisse établir souvent que les coups ont été portés par M. à Mme (plus rarement l'inverse).
   Mais là, l'affaire est carrée. Ses dénégations n'ont donc pour seule conséquence que de me faire monter en pression. Je pose toutes les questions nécessaires, jusqu'au bout, qu'il balaie toutes d'une main, avec une mauvaise foi crasse et un aplomb de professionnel. Pourtant il ne l'est pas. C'est, semble-t-il, la première fois qu'il lève la main sur Madame.
   Je mets fin à l'audition, rien ne sert de continuer, j'ai en main le plus beau PV de "chique" de la semaine. Il discute toutes les questions en relecture, et j'effectue quelques modifications à sa demande, qui ne font que l'enfoncer un peu plus bas et lui demande de signer ses déclarations. Il refuse. Grand bien lui en fasse. Je lui explique que ce sont ses propres déclarations, qu'il vient de relire et avec lesquelles il semble d'accord. Je lui explique que je ne vais rien modifier, certainement pas après. Il finit par signer.
  Je le descends en cellule (les bureaux sont à l'étage et nous sommes en démocratie, rassurez-vous, je ne lui ai donc pas fait plus de mal).
  Je laisse donc aux collègues de l'après midi le soin de l'envoyer voir le médecin, éventuellement procéder à une nouvelle audition et bien sûr, en cas de persistance sur cette voie, de conduire une confrontation avec son "accusatrice".
   Puis je m'engage sur le chemin du retour, pensant déjà à m'affaler mollement sur mon canapé pour une sieste sans rêve. Que je crois ...
   Un collègue qui reprend le dossier m'appelle, pour me dire que mon champion veut absolument me parler, qu'il a des choses à me dire. Seulement à moi (le casse couilles). Putain il était temps ... Je décide donc de repartir au service. Ce serait dommage de priver ce brave homme de son besoin de se soulager.
   Lorsque j'arrive, il est en pleurs dans les cellules, il hurle, tape sur la porte, mais se calme en me voyant. Pas courant. Il me dit que j'avais raison, oui, il a tapé sur Madame - il regrette - que j'ai eu raison de lui crier dessus et de m'énerver. Les témoins étaient bien là, et ont bien vu ce que Madame a décrit. Il me dit qu'il n'en peut plus, qu'il a complètement pété les plombs. Je le calme, lui explique la suite de la procédure. Je tente de lui faire comprendre que les faits sont là et qu'ils ne peuvent être effacés. Il le sait mais il ne réalise pas la gravité de son geste, je lui propose d'être entendu à nouveau par un autre collègue et d'être examiné par un médecin à ma demande. Il acquiesce. Je lui expose la suite des évènements, le défèrement qui va suivre - sans nul doute - la nuit au dépôt, la comparution immédiate, la possibilité de demander un avocat qui le défendra au mieux. Il est d'accord, il veut en finir. En même temps, il n'a plus le choix.
   Je le place donc entre les mains d'un collègue que je sais être calme et le salue. Il me demande mon nom et les coordonnées du commissariat, je les lui donne.
   Il a probablement passé une sale nuit ce jour là, alors que moi j'ai dormi comme un bébé.
   Je ne l'ai jamais revu, mais à l'issue de la procédure qui a pris fin le concernant, il m'a appelé.
   Il m'a rappelé que ce jour là quelqu'un lui a parlé plus fort qu'il ne l'avait fait sur Madame. Il m'a dit que l'électro choc qu'il avait reçu lui avait fait du bien. Je suis heureux de l'avoir aidé, même si je regrette d'avoir eu à en arriver à m'énerver.
   Il m'a dit avoir été condamné, ce dont personne ne doutait, mais avoir été soulagé par une peine qu'il estimait méritée et mesurée.
   Madame lui a pardonné - "chose peu ordinaire" - mais au moins, de leur histoire, je n'ai plus entendu parler.

Flam

dimanche 5 mai 2013

un flic, ce n'est pas...

Voilà deux semaines, je vous expliquais ce que pouvait être un flic; pour le moins, qui il était, à l’intérieur.
Dans la continuité, j'ai eu envie de vous dire ce que n'était pas un flic.

L'objectif est double: mettre à mal certains clichés véhiculés, mais aussi, de manière plus directe, dénoncer les attitudes qu'ont certains, vis à vis des policiers qu'ils croisent, dans leur environnement personnel ou dans des situations de la vie courante.

* * * * *

Un flic n'est pas dépositaire de la politique de sécurité menée par le ministre de l’Intérieur en place
Je n'en suis pas plus dépositaire de la politique menée par M. Manuel Valls, que je ne l'étais avec Nicolas Sarkozy. Il faut bien être conscient que, chacun, dans la tâche qui est la nôtre, nous accomplissons notre tâche dans un service dédié. Lequel a, lui-même, une mission bien  spécifique; que cela soit des interventions de Police Secours sur dans une circonscription, ou dans un service spécialisé face à un type de délinquance spécifique. Les services sont aussi nombreux que les missions sont disparates.
Chaque nouveau ministre a son lot d'idées nouvelles, réorganise certains services, et crée d'autres... parfois-même utilise des anciens, avec un nouveau nom ... Mais nous, fonctionnaires, les flics que nous sommes, obéissons à notre service d'emploi. Lequel, bien sur, va dans le sens de la politique ministérielle. Mais, en aucun cas, les policiers ne sont responsables de la ligne politique ayant cours. Donc inutile de se déverser sur la politique de sécurité. Si nous en sommes acteurs, nous n'en sommes pas responsables.
Je ne compte plus les soirées auxquelles j'ai participé et au cours desquelles j'étais fautif de tous les dysfonctionnements policiers, devant passer mon temps à me tenter de justifier l'action du Ministère tout entier ... 


Un flic qui dresse une contravention, ne le fait pas parce qu'il n'a "ça à foutre plutôt que de s'évertuer à interpeller les voyous, les meurtriers et "les mettre en prison".

 Là encore, chaque policier se voit attribuer une mission bien particulière, qui correspond à une nécessité de "service public" ou de "sécurité". Même s'il est difficile de nier le zèle de certains, il est des services qui sont spécialisés dans la police de la route. Et c'est donc de leur devoir de vérifier les permis de conduire, certificats d'immatriculation et autres papiers où conditions de circulation d'un véhicule. Même s'il peut vous paraître qu'il est plus facile de "taper dans le portefeuille" de l'automobiliste que du trafiquant de cannabis local. D'abord, c'est une réalité, mais ensuite, le but poursuivi n'est pas le même. Ce n'est pas parce que l'on priorise la lutte contre les trafics souterrains, que l'on doit laisser de coté la sécurité routière. 


Un flic n'a pas pour seul objectif que de contrôler à plusieurs reprises la même personne... de préférence dans la même journée, juste pour l'emm... l'embêter

Vous l'aurez compris, je cible, ici, les contrôles d'identité. Sujet, ô combien sensible. Si je comprend qu'on puisse être "fatigué" d'être contrôlé fréquemment, il faut aussi comprendre les policiers, qui sont obligés de cibler leurs contrôles. Ils n'auraient aucun intérêt à contrôler une grand-mère qui va faire ses courses en pleine campagne. Et, tout naturellement, les contrôles s'exercent donc là où se trouvent nombre de délinquants, notamment dans les cités sensibles, et sur certaines classes d'âge, sur des individus ayant un certain comportement. Ce qui ne signifie en rien que, pour autant, tous ceux qui vivent dans une cité sont des délinquants en puissance. Mais si l'on savait à l'avance qui est délinquant et qui ne l'est pas, cela serait facile. Et c'est loin d'être le cas.


Un flic, dans une voiture qui vous dépasse, avec le gyrophare, dans les bouchons, là aussi, ce n'est pas parce qu'il va prendre l'apéro, ni parce que la fin de service approche


Il y a foultitude de raisons qui peuvent faire qu'on use de ce système qui est, il faut l'avouer, un privilège. ET c'est la raison même de son existence, et son utilisation.
Bien évidemment, la première raison, c'est l'intervention en urgence... un accident, un braquage en cours (bien que...), une agression.... mais ça peut aussi être un "péjiste" qui, d'urgence, doit se rendre sur une surveillance importante. Soyez bien conscients que ceux qu'il nous arrive de surveiller ne nous attendent pas pour poser sur la photo. Imaginez qu'il faille se rendre sur un rendez-vous, pour surveiller des objectifs tout en respectant toutes les règles du code de la route. Le "deux tons" peut aussi être utilisé lors de la présence d'un détenu à bord. Il s'agit-là d'une mesure de sécurité, puisque l'on estime que moins longtemps nous serons sur la voie publique, fragilisés par la présence du détenu, mieux cela sera.

Un flic qui doit faire usage de la force de le fait pas par plaisir 

La violence n'est une solution à rien, et n'intervient toujours qu'en dernier recours. Que l'on soit policier ou non. Elle n'est toujours qu'un moyen de défense. Y compris pour le policier. JAMAIS elle n'est de la volonté du policier, ni même préméditée. Il est une réalité: si une personne devient violente, ou ne se laisse pas interpeller, la réaction du policier ne peut être dictée par la seule formation théorique qu'il a reçue; si la personne ne se laisse pas faire, on agit bien souvent "comme on peut". Il n'est pas forcément aisé de mettre les techniques enseignées en pratique, à l'instant T. Il est alors question de réactivité, de réflexes, d'efficacité ... J'ajoute que si les policiers sont plusieurs à interpeller un seul, ce n'est pas par lâcheté. Il ne s'agit pas là d'un concours de muscles où on verra, à la fin, qui est le plus fort ! Il n'y a que le résultat qui compte. Que l'objectif soit maîtrisé.

Un flic, ce n'est pas un "pote" qu'on n'appelle pour faire sauter le dernier excès de vitesse qui risque de faire passer le permis de conduire à la trappe 

Si je puis dire, "il fallait y penser avant".
Dire que cela n'existe pas serait un gros mensonge. Maintenant, il est une autre vérité; les passe-droit sont de moins en moins possibles puisque de nombreuses infractions sont désormais informatisées dès le début, sans intervention humaine, à partir du moment où l'immatriculation d'un véhicule en infraction est enregistrée. Tout est électronique, jusqu'à ce que le facteur dépose le pli fatidique dans votre boite à lettres. 
Donc, dans votre répertoire téléphonique, classé à l'entrée "SOS prune", définitivement... ce n'est pas ça, un flic !


Un flic, ce n'est pas non plus le copain (parfois, même pas) qu'on appelle, le samedi soir, parce que le voisin se fait un pétard sous la fenêtre, et qu'il faut démanteler, tout de suite, le trafic de stupéfiants international qui sévit...


Il faut bien être conscient que nous avons tous, chacun en ce qui nous concerne, une mission bien précise. Des enquêtes judiciaires que l'on nous a ordonné, les interventions urgentes sur la circonscription sur laquelle nous sommes affectés ... Bref, je ne vais pas "sortir mon flingue" pour aller voir le voisin, la placer en garde à vue pour les deux années à suivre, ni même lui demander d'aller fumer un peu plus loin ... 
Le mieux à faire, sur un conflit de voisinage sera toujours d'appeler le commissariat ou la gendarmerie locale qui sera la plus à même d'intervenir s'il le faut, fonction, bien évidemment, de ses moyens et des contraintes courantes, qu'il ne faut pas ignorer. 

Un flic, ce n'est pas celui qu'il faut montrer du doigt aux enfants, en leur disant "si tu n'es pas sage, il va te mettre en prison". 

A cet âge là, bien au contraire, les enfants doivent avoir pleine confiance dans les policiers qu'ils croisent, et se dire que s'ils ont un jour un problème, ils pourront s'adresser à un policier et avoir toute confiance en lui. La première mission du policier, c'est aider. 
Je me suis toujours défendu de ce qu'un parent pouvait me représenter comme un empêcheur de faire des bêtises en rond. Ma première mission, c'est de défendre. Et celle des parents, de s'occuper de l'éducation des enfants, et définir quels sont les interdits, et les éventuelles "sanctions". 

Enfin, et cela me tient à cœur,

un flic, ce n'est pas un "fonctionnaire"... 
... en tous les cas au sens péjoratif du terme.
La majorité d'entre nous ont soit des horaires dits décalées (avec des cycles matin/après-midi) ou alors, s'ils sont en cycle hebdomadaire, comme le sont les enquêteurs, c'est qu'ils font des heures supplémentaires dont la majorité ne sont ni payées ni récupérées. 
Le seul avantage dont bénéficie le policier en tant que  "fonctionnaire" c'est, il faut le reconnaître,  la sécurité de l'emploi. A cela un petit bémol... contrairement à un fonctionnaire employé dans une mairie, une administration centrale..... Le policier peut, en quelques secondes, avoir sa vie entière sens dessus dessous. Une rixe au cours de laquelle il est lui-même blessé, ou, inversement  au cours de laquelle il blesse quelqu'un, et sa vie bascule. C'est la double peine; plus d'emploi, plus de salaire, et peut-être même un passage par la case prison ...  Tout peut basculer en quelques secondes.  

* * * * *

Vous l'aurez compris. Le métier de policer, de flic, n'a rien, en tant que tel, de normal. Ce que nous faisons, au quotidien, n'est, la plupart du temps, pas ordinaire. C'est bien là que se situent les difficultés. Dès lors, il ne s'agit pas de voir, par la présence d'un flic dans votre entourage, quelqu'un qui peut vous procurer des avantages. Mais pas non plus des inconvénients. 

Les policiers ne sont, avant tout, que des hommes. Et, en cela, ils sont comme tout le monde. Avec des forces, des faiblesses. Encore une fois, pas mieux, mais pas moins bien non plus.