samedi 9 novembre 2013

C'est l'histoire d'un - beau - livre

Vous n'avez certainement pas échappé, ces dernières semaines, aux nombreuses fois où je fais référence à la sortie du livre, "Enquêtes Générales", immersion au cœur de la BRB (Editions de la Martiniere). Une fois n'est pas coutume.

Nous sommes en Mars 2012; je suis, à l'époque, affecté à la Brigade de Répression du Banditisme de Paris. Le chef de groupe auquel j'appartiens nous réunit tous, et nous fait part d'un projet qui lui a été soumis. Un journaliste a demandé à nous suivre pendant deux mois pour faire un livre ou se mêleront des aquarelles et du texte. 
L'habitude, en de telles circonstances, est de tout refuser, et ce genre de demande n'arrive même pas jusqu'au bureau du chef de groupe; elle est stoppée bien avant, tellement les filtres sont nombreux. Il n'est pas question de dévoiler nos techniques d'enquête au grand public. Et pour cause, ce genre de livre plait énormément aux voyous. Lesquels n'ont déjà qu'à regarder la télé pour savoir comment on travaille. Inutile d'en rajouter. 
Pourtant, il n'aura pas été difficile de nous convaincre. La personnalité de l'auteur que l'on nous dépeint n'y est pas étrangère. Une rencontre est alors organisée dans le bureau du chef de service. 
C'est là que nous rencontrons Raynal Pellicer; il se présente, et c'est important, non pas comme étant journaliste, mais documentariste. 
Les conditions de sa présence sont alors posées; en ce qui concerne les enquêteurs, la seule demande réside dans la modification des identités. Chose normale. 
J'attire l'attention de l'auteur sur le fait qu'il pourrait tout à fait ne rien se passer, pendant deux mois, qui donne du contenu à son projet ! Mais, après tout, qui n'essaie rien, n'a rien. 
Rendez-vous est donc pris pour commencer l'immersion quelques jours plus tard. 
La chance lui a montré son plus beau visage, puisque l'après-midi même, il était "immergé" et "invité" à nous rejoindre...
L'idée portée par le projet n'était pas de poser un regard, une analyse sur le travail de policier, mais, comme le dit lui-même Raynal, de faire un "verbatim" de ces instants passés, un rendu, sans modification aucune, des dialogues, avec policiers et autres intervenants, quels qu'ils soient. Je dois le dire, j'étais moi-même plein de préjugés à l'égard, non pas de Raynal Pellicer, mais plutôt vis à vis d'un certain journalisme "poubelle" (certains comprendront le sens de mon propos). Et, à force de discuter, d'échanger, ce jugement préconçu s'est reconstruit sur du concret. Le tout étant que chacun prenne en compte les difficultés de l'autre, les obligations auxquelles il est astreint. Et là, comme souvent, beaucoup de choses s'expliquent, se comprennent.

Au début de son aventure, Raynal n'avait que sa feuille et son stylo, ne sachant comment nous approcher. Rapidement, il s'est rendu compte que cela ne suffirait pas. Il est revenu avec appareil photo, dictaphone... Et nous a suivi. Tout le temps, de jour comme de nuit, la semaine et le week-end. Partout; sur les filoches, comme sur les interpellations.
Si, au début, sa présence était remarquée, rapidement, "le gauchô", tel que nous l'avions surnommé, s'est fondu dans le groupe, pour en faire, quasiment partie. Pendant que nous cherchions à résoudre les enquêtes qui nous étaient soumises, lui tentait de comprendre notre fonctionnement, notre façon de penser, essayant de verbaliser l'enquête pour le profane qu'il était, et qu'il voulait tenter de toucher. Encore une fois, j'insiste, mais c'est sa personnalité, qui a fait qu'il est arrivé à se fondre au milieu des enquêteurs. Il s'est parfaitement intégré. 
De son coté, @Titwane a choisi un angle différent. Ayant fait le choix de ne pas être, lui-même, immergé, il s'est nourri, de son coté, de tout ce que Raynal lui ramenait. Documents son, vidéos, photos... Comme il le dit lui-même "une fois qu'on a pris la photo des flics, de leur bureaux, voitures, et ordinateurs, il faut trouver autre chose".
C'est à cet instant que les deux auteurs se sont rendu compte, je pense, qu'on était loin des séries policières américaines, hyper stéréotypées, et qu'ici, 80% du temps d'enquête était passé au bureau. A analyser, écouter, retranscrire...
Et, pour donner de la profondeur au sujet, ils sont allés piocher dans les expressions, au travers des situations rencontrées, ce qui fait que ses dessins sont, je trouve, très parlant.

Au final, c'est un livre de quelques 208 pages, mi BD, mi "beau livre", mêlant aquarelles et textes, qui nous est livré.
Je n'ai peut-être pas le regard le plus objectif qui soit, mais c'est un bel ouvrage. Le format est très original. Et je le trouve sincère sur le fond. On ne pleure pas dans les chaumières, on ne cherche pas à "vendre le produit", lequel n'est pas "sponsorisé par la boite", comme le dit un certain Renan...

Voilà quelques critiques trouvées sur Twitter: 







Quelques liens issus de la presse écrite: 


Les mieux placés pour vous en parler sont encore les auteurs: 

RTL - Jacques Pradel - L'heure du crime - émission du 03 Octobre 2013


France Inter


Et, pour finir, si vraiment vous n'êtes toujours pas convaincu, une petite vidéo:



Vous n'avez désormais plus aucune excuse. J’espère que, comme moi, vous passerez un bon moment.
N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires. 

Le Facebook de Raynal Pellicer, où vous retrouverez ses autres oeuvres: 
Le blog de @Titwane, "La moue du bulot"

mercredi 25 septembre 2013

Où il est question de planer

     C'est l'histoire d'un mec qui ne savait pas voler, ou à tout le moins qui ne le voulait pas cette nuit là.
L'histoire d'une soirée entre gens de mauvaise compagnie qui finit mal. L'histoire d'une enquête touffue, un week-end de permanence, et les mois qui suivirent.

     Nous sommes samedi, nous buvons le café en prenant connaissance des dossiers de la nuit et de ceux de la veille qui ne sont pas clos. Je suis de permanence avec mon mentor, celui dont je rêve d'intégrer le groupe. Il m'a pris sous son aile peu après mon arrivée. J'en apprends beaucoup à son contact.

     Lorsque l'appel tombe, nous venions de faire remarquer que la permanence était calme. Il est des moments comme cela où il convient de fermer sa gueule. Le compte rendu de la station directrice est laconique: un homme a fait une chute, dans des circonstances indéterminées, depuis le balcon d'un appartement dans un ensemble d'habitations communément appelé "cité pourrie" de l'arrondissement. L'intéressé est manifestement mal en point, son crâne étant entré directement en contact avec le sol à l'issue de ladite chute. Pronostic vital engagé. On fonce, mon chef ayant décidé de m'accompagner.

     Sur place, c'est la cohue, une nuée de petits hommes bleus s'affaire en bas de l'immeuble. Les premiers éléments nous ayant été communiqués sont les suivants :

          * une soirée a eu lieu dans un des appartements de la barre d'immeuble, dont le nombre d'invités reste à déterminer
          * à l'issue de la soirée, soit il y a environ 35 minutes, heure de l'impact, tous les invités sont précipitamment rentrés chez eux, la fatigue commençant à se faire sentir
          * seule la locataire en titre est restée sur place

     Cette dernière, manifestement très avinée, bredouille quelques mots, inaudibles (et qui de toute façon ne sont pas recevables vu son état d'imprégnation avancé). Elle est ce qu'on appelle manifestement "pliée comme un cartable" (copyright @amiraltiti). Elle est "interpellée", au sens légal, et placée en garde à vue avec notification différée de ses droits. Concrètement, ses droits lui seront notifiés lorsqu'elle aura dégrisé. 
     Revenons à nos moutons et tentons de savoir ce qu'il s'est passé.
     Dressons constatations comme suit:


Sur la situation géographique

     L'ensemble d'habitations dit "de la cité pourrie", tient place sur les boulevards extérieurs de la capitale à proximité immédiate d'une porte permettant l'accès à un noeud autoroutier. Abritant environ 1500 personnes, elle est réputée sensible, et est le siège de nombreux trafics. La diversité de sa population est à l'origine de fréquentes tensions. Elle est organisée de telle sorte que, quand une grappe de poulets y entre, elle va fatalement se prendre quelque chose sur la gueule, l'hostilité des petits caïds locaux étant au moins égale à la persistance des forces de l'ordre à vouloir l'adoucir. Il n'y a qu'un seul point d'entrée qui fait également orifice de sortie. 
     L'appartement au sein duquel s'est dénoué le drame est situé au troisième étage de la première barre de la cité, qui en constitue en quelque sorte le rempart. Notez que le balcon se trouve à l'aplomb de l'accès aux caves, en pente raide, bétonnée avec le plus grand soin en granulés. Parfait pour les gommages. Rajoutez donc trois mètres depuis le seuil ... Voilà voilà, ça a du piquer un peu. En témoigne la flaque de sang sur le sol. 
     Nous accédons à l'appartement. 

Sur le lieu des faits

     Le logement est situé au troisième étage, porte droite. L'accès s'y fait par une porte blindée à six points, sur laquelle aucune trace d'effraction n'est apparente. Elle était claquée au moment des faits, du moins à l'arrivée des effectifs premiers intervenants sur place. Accédons à l'appartement bizarrement vide de tout autre occupant (huhuhu). De type F3, d'une superficie approximative de 65m², l'ensemble - sommairement et modestement meublé - est en grand désordre et d'une propreté douteuse. Des tâches parsèment le linoléum hors d'âge, de toutes natures et origines : terre, nourriture, crasse, et sang maintenant ... Les peintures défraîchies et tapisseries immondes sont zébrées de traînées noires. De nombreux cadavres de bouteilles vides trônent sur une table devenue basse sous le poids des âges et de la misère du monde qui s'y est reflétée. On note la présence de mégots de joints et de traînées blanches pouvant être de la cocaïne. Un vrai bouge. Il y a également des traces de lutte.
     Tout est organisé, après l'entrée, autour du salon/salle à manger, pièce à survivre plus qu'à vivre, avec un fond une cuisine ouverte absolument dégueulasse. Je n'y élèverai pas des porcs. Les deux pièces permettent l'accès au balcon qui coure sur toute la longueur de l'appartement. A main droite, après l'entrée, se trouve une première chambre, devrais-je dire un véritable dépôt de fringues, et un lit double cradasse : la suite parentale ...
     Un petit couloir permet l'accès à une seconde chambre, celle d'un adolescent visiblement, curieusement rangée en regard du reste, et la salle de bains, véritable cabinet de curiosités du poil. 
L'ensemble est relevé par un petit bouquet de senteurs du plus bel effet, tabac froid, sueur et renfermé, piqué de cette légère odeur métallique laissée par le sang. Un bonheur. A saisir, libre tout de suite, vu la merde dans laquelle se trouve la locataire. Prix attractif. 
     Le balcon, l'endroit le mieux rangé puisque vide, comporte également quelques traces de sang. A son extrémité ouest, et à l'aplomb, la flaque de sang rappelle la dureté de la chute. 
     Nous faisons bien évidemment appel aux services de l'Identité Judiciaire, qui sera chargée de constituer un album photographique et d'effectuer le relevé des traces et indices.
      Les constatations sont longues, j'y consacre une bonne partie de la journée.


                                                      De l'enquête de voisinage

     L'accueil est cordial, chaleureux, on sent que nous sommes les bienvenus ici. Néanmoins, la locataire qui a accueilli la petite nouba est coutumière du fait et semble s'être attirée les foudres de ses voisins. Merveilleux. Les langues se délient. Il semble qu'au moins 4 à 5 personnes aient été conviées à une petite sauterie pépito-banga des plus calmes. Résumons : ils ont fait chier le voisinage toute la nuit. Au petit matin, il a eu des cris, puis subitement le silence. Probablement le moment de déchirants "au revoir".
     Faisons retour au service.

     Là, techniquement, c'est le moment où tu bécannes (tapes à l'ordinateur) réellement les constatations, ce qui selon les affaires, peut prendre des heures. Tandis, que le chef s'occupe de la procédure, et donc de la garde à vue "en cours" de la locataire. Dans le même temps, mais je ne le précise pas, l'état major t'appelle vingt fois pour te demander des détails qu'ils ont déjà en triple exemplaire, mais transmis à douze personnes différentes incapables de relayer les infos. On te demande souvent à quelle heure tu vas interpeller des gens que tu n'as pas encore identifiés. La plaie. 

    Sur les premières heures de garde à vue de la locataire

     Après complet dégrisement, les droits de cette dernière lui sont notifiés. Elle demande à s'entretenir avec un avocat. Tu m'étonnes ... Elle est entendue une première fois brièvement, audition à l'occasion de laquelle elle confirme la présence de plusieurs personnes dans son logement une partie de la nuit pour une petite fête entre amis. Force alcool a été consommé, ainsi qu'un petit peu de cocaïne. Fabuleux, pourtant la fin de la soirée s'est passée normalement selon elle, à l'exception du convive qui a fait du base-jumping depuis son balcon. Elle n'était pas conviée au baptême. Elle est même allée se coucher, atteinte d'une subite fatigue, le calme dans l'appartement étant également propice à un repos mérité. Un détail. 
     Nous retournons donc sur les lieux avec elle afin d'y conduire une perquisition. Laquelle n'apporte guère d'éléments nouveaux si ce n'est que les traces blanchâtres sur la table basse sont bien des reliquats de traits de cocaïne. Cocaïne amenée sur place par un convive dont elle ne connait ne le nom ni l'adresse. C'est bizarre, moi je lance rarement des invitations contre X ... Etrangement, aucun de mes convives n'est sorti par la fenêtre non plus. 
     Nous l'emmenons sur le balcon et lui montrons la flaque de sang à l'aplomb du balcon. Elle est fébrile mais nous présente son air le plus intelligent. Une réussite, elle ment et mal en plus. 
     Retour au service où une nuit réparatrice l'attend.

                                Sur la fin de la garde à vue et les investigations qui suivirent

      Le lendemain, la locataire est entendue à nouveau, et reviens à de meilleurs sentiments. Elle nous communique le nom et le numéro de téléphone d'une des personnes présentes, lequel serait manifestement son amant. Elle communique également le prénom et le signalement d'un homme (signalement très reconnaissable et atypique) de celui qui serait à l'origine du drame comme elle dit ... Nous y voilà. A la question "qu'entendez vous par drame ?", elle est gênée, mal à l'aise, elle maintient qu'elle est allée se coucher mais a entendu des cris et hurlements. Elle se ne serait pas affolée plus que ça et serait restée couchée. Personnellement, j'entends des hurlements et échanges vifs de voix dans mon appartement, ainsi que des bouteilles qui se brisent, je ne tente pas de me rendormir. Je ne serais même pas allé me coucher pour tout dire. Passons. Le reste de son audition est du même acabit : elle tourne autour du pot sans cesse et ne veut pas dire ce qu'elle a vu. Soit. Elle semble craindre l'homme qui a pris la fuite et au signalement si particulier. Il y a de quoi ... 
      Dans le même temps, son amant est contacté, il se présente spontanément au service à notre demande. Après s'être vu expliquer qu'il valait mieux venir donner sa version que de se faire interpeller comme un malpropre chez ses parents. En effet, celui-ci est âgé d'une trentaine d'années,vit chez ses parents mais ne s'appelle pas Tanguy. Rapidement entendu, l'histoire qu'il raconte donne un tout autre éclairage à l'affaire. Il est confronté à la locataire, puis la mesure de garde à vue de cette dernière est levée (son rôle étant mineur, et compte tenu du fait qu'elle ne risque pas de se mettre en cavale). En effet, dans l'attente de connaître la version qui se rapproche le plus de ce qu'il s'est passé, il convient de garder du temps de GAV pour plus tard, une fois que nous aurons tout le monde sous la main.  

                                                             De la version de l'amant

      L'histoire qui nous est contée par ce dernier diffère sensiblement de celle de sa chère et tendre, même si celle-ci s'est montrée plus raisonnable lors de la confrontation. Objectivement, sa version ne tenait pas une seconde. 
     Et en fait d'histoire, nous voilà servis: la locataire a convié son amant et une connaissance de ce dernier (la "victime") afin de passer une soirée agréable dans un cadre idyllique (bougies, whisky de qualité - du J&B autrement appelé jus de bagarre, vodka chaude et pistaches). La fête étant plus folle avec des gars pleins d'alcool, la locataire invitait deux individus du quartier, passablement éméchés, qui venaient avec leurs munitions, d'aussi grande qualité. Et un peu de cocaïne aussi, pour se redonner la pêche. 
     Détail d'importance, l'un des deux, au signalement si particulier, est connu pour être un authentique connard, agressif et violent. Et ce qui devait arriver arriva. Prenant en grippe le comparse de l'amant, celui que nous nommerons "Momo", car tel est son surnom, n'a cessé de le titiller (j'aurais pu employer le terme chier dans les bottes) toute la soirée avec des mots doux, probablement liés à sa couleur de peau et à ses origines, soit les mêmes que lui, l'Afrique. Les mots ne semblant pas atteindre sa victime, d'un flegme à tout épreuve; au petit matin, il décidait d'en venir aux mains, pensant logiquement que ses arguments rentreraient mieux aux poings. D'où le sang. Les échauffourées se poursuivent sur le balcon où la victime s'est réfugiée et les coups continuent à pleuvoir. Jusqu'à ce que ce dernier décide de prendre la fuite, en enjambant le balcon. Mauvaise idée, puisque son agresseur, plus que jamais en position de force, attend qu'il soit suspendu dans le vide, pour lui balancer un coup de pied au visage en lui disant "tu veux voler ? Alors vole". Le malheureux n'a pas eu le temps de déployer le parachute. 
     Dans l'appartement, dans le salon précisément et sur le balcon, où tout le monde est encore présent - je dis bien tout le monde - un ange passe, les ailes lourdes de bris de verre et de vapeurs de mauvais alcool. Envolée de moineaux. Fatigue soudaine certainement. Reste la locataire. 


De l'audition de la victime

     La victime est une petite frappe de la banlieue sud. Mais ce soir là il n'avait fait de mal à personne. Si ce n'est amener un peu de poudre pour la fête. Son pronostic vital était engagé mais finalement il s'en sort sans séquelle. En cas de guerre, il pourra entrer en Résistance. De la carne. 
     Sa version colle avec celle de l'amant, à peu de choses près. Rien de très probant dans ses déclarations. 
     Il écope néanmoins d'une belle I.T.T, et d'un trou dans la caboche, du fait de l'hématome. Pour la petite histoire, il a été exécuté quelques années plus tard au 11.43 dans sa banlieue sud. Quelques percées de plus. Je ne le pleurerais pas. 

Des investigations qui permirent de clore le dossier

      Le signalement si atypique s'est avéré parlant, puisque c'est mon chef de groupe qui l'a rapidement identifié pour l'avoir interpellé plusieurs fois par le passé. Un toxico putride, aux dents pourries et aux cicatrices visibles. Un type en voie de clochardisation, un cloporte parasitant tout ce qu'il touchait. L'identification fut formelle et sans détour par la locataire et l'amant. 
     Nous lui avons longtemps couru après, en vain, et avons identifié et eu en garde à vue tous les protagonistes présents, y compris le quatrième, sauf l'auteur principal. 
     Car au final, tout le monde a essayé de le calmer, en vain. Encore un qui possédait un gros potentiel de connerie, et qui, aidé par l'alcool, ne devait en être que plus agréable. 

     Il a fini par être inscrit (au fichier des personnes recherchées), et a été interpellé plusieurs mois plus tard à l'occasion d'un contrôle de routine. Il a eu le droit à sa garde à vue, à la mise en examen et à l'écrou. Il y a été fidèle à sa réputation. Alors en garde à vue il a parlé car sa cavale lui a coûté. De façon circonstanciée il a raconté sa soirée, en minimisant sa participation. Nous ne l'aurions pas respecté s'il ne l'avait pas fait ceci dit. Il a bien dit s'être battu avec sa "victime" après avoir été provoqué par ce dernier. Evidemment, la confrontation n'a jamais eu lieu avec sa proie, celui-ci n'ayant plus déféré à nos convocations par la suite. Il a reconnu l'avoir poursuivi sur le balcon. L'avoir aidé à franchir le pas pour le grand saut aussi, puisqu'il voulait manifestement partir. 

     Mais l'inviter à voler, ça jamais, faut pas déconner. 


Flam

mardi 17 septembre 2013

Trafic de stups; faut-il légaliser? 2/2

par @hpiedcoq

Legalisation

Avant-propos : les idées exposées ci-après sont le fruit d'une réflexion personnelle, et ne reflètent en aucun cas l'état d'esprit de telle ou telle administration. Elles n'engagent que son auteur.
L'idée de ce billet à deux voix est venue au cours d'une discussion sur les règlements de comptes à Marseille, sur Twitter. Il est indéniable que beaucoup de ces petits meurtres entre amis a pour toile de fond le trafic de drogue et plus particulièrement, le trafic de cannabis.
Chris_PJ a donc eu l'idée de nous faire poser sur le papier, un argumentaire précis sur ce que pourrait être la légalisation du cannabis.

Depuis des décennies, les discours prohibitionnistes sur un ton martial, utilisant le champ lexical guerrier et largement calqués sur ceux tenus outre-atlantique dans les années 80/90, sont devenus la règle.
Il faut "déclarer la guerre aux dealers", "éradiquer le fléau...", "en finir avec les trafiquants...". Et peu importe que deux des conviés au dernier raoût marseillais soient eux-mêmes mis en examen pour de graves malversations financières. Il faut bomber le torse et montrer que l'on agit.
Si l'objectif est noble pourtant, la réalité des faits est, elle, beaucoup plus cruelle. La culture du cannabis ne s'est jamais si bien portée au Maroc, son principal producteur. Le réchauffement climatique ouvre de nombreuses opportunités de production en Albanie, en Grèce. La production indoor explose en France, ou de nombreuses fermes d'exploitations sont découvertes chaque années.
Le trafic, loin d'être jugulé a explosé, et le cannabis n'a jamais été si facile d'accès.
Plus inquiétant, la volonté politique affichée en France de lutter contre le trafic se heurte depuis 1993 à l'ouverture des frontières et à la quasi disparition des contrôles frontaliers, pourtant les plus efficaces pour lutter en amont de la revente locale. Enfin, la réduction des dépenses publiques diminue de facto les effectifs en charge de la répression de ces trafics.
La dépénalisation évoquée régulièrement dans la presse, loin de solutionner le problème, entraverait en réalité l'action des services de l'état et brouillerait par là-même tout le message sociétal sur la santé publique.
Dans ce contexte, la légalisation du cannabis, seule voie non encore expérimentée à ce jour, semble s'imposer comme une solution possible pour endiguer la violence résultant de ces trafics. Elle nécessite une implication très forte de l'État et de l'ensemble de ses représentations ministérielles, mais paradoxalement pourrait s'opérer sans grosses modifications juridiques, l'essentiel des dispositions juridiques encadrant cette légalisation étant déjà en vigueur.

Légalisation encadrée : une approche interministérielle et transverse

La légalisation du cannabis doit être envisagée comme une solution intégrée globale permettant un contrôle et une traçabilité de la filière de production et de distribution, tout en assurant une rentrée fiscale importante facilitant une politique de santé publique volontariste et pérenne.
  • Contrôle et traçabilité de la production et de la distribution.
Si la France produit du chanvre depuis des siècles, sa culture le cantonne légalement au textile, au fourrage et au matériau d'isolation. L'orientation de la production vers une consommation récréative impose un gros travail de sélection des variétés en amont, en fonction du taux de THC légal déterminé par la loi. La filière de production doit donc répondre à un cahier des charges précis impliquant la création d'un label de certification, et pourquoi pas un mode de culture à faible impact environnemental.
Cette culture doit permettre d'offrir de nouveaux débouchés à la filière agricole par ailleurs sinistrée. Mais elle doit également s'accompagner d'une forte implication du secteur de la Recherche, notamment agronomique, afin d'en faire une culture technologiquement en pointe, intégrant également la valorisation de toutes les composantes de la plante (textile, isolant...). A tous les stades de la production, le contrôle de la production permet d'en assurer la qualité.
Une fois ce produit fabriqué dans le respect des normes, comment en assurer la distribution?
La France dispose d'un réseau de 26.000 points de vente tout désigné pour assurer cette distribution : celui des débitants de tabac. Formés, encadrés et régulièrements contrôlés par l'état, ses opérateurs sont rompus à la vente de produits sensibles et le secteur pourrait trouver ici sa planche de salut, en ces temps de crise pour la profession.
La chaine logistique intermédiaire (semi-grossistes et grossistes) existe déjà et serait assurée par les sociétés déjà concernées par le transport du tabac (Altadis,...).
  • Fiscalité et santé publique.
La mise en place d'une fiscalité de type "accises" sur le cannabis, et donc d'une taxation doit permettre d'augmenter significativement les rentrées fiscales dans le budget de l'état. Les études menées par les services de Bercy sur le sujet font état d'un montant allant de 800 millions à un peu plus d'1 milliard d'euros, ce qui en période de disette budgétaire est loin d'être négligeable. Ces rentrées fiscales directes n'intègrent pas celles obtenues de manière indirecte (impôts sur les sociétés,...).
Pour mémoire, on rappellera ici que le coût de la politique de répression du trafic de stupéfiants en France est estimé à 300 millions d'euros par les économistes.
Une partie de ces nouvelles rentrées fiscales doit se voir reversée à la prise en charge sociale de la dépendance aux drogues mais également au financement des retraites.
Évidemment, il est nécessaire d'ajuster le prix de revente du cannabis "Norme Française" afin d'optimiser ces rentrées fiscales. Si le produit fini est trop cher, il subira la concurrence de la contrebande et du deal de quartier.
L'idée directrice est de pouvoir proposer un produit labellisé bénéficiant d'un circuit de distribution sécurisé et fiable, permettant au consommateur de s'approvisionner simplement sans alimenter une économie parallèle et d'assurer parallèlement une diversification des revenus pour l'agriculture et des rentrées fiscales conséquentes. Cette offre légale concurrencera de facto celle proposée par les revendeurs illégaux.
Un changement de paradigme à coût juridique quasi nul

Une partie du lectorat de ce blog verra sans doute en ces propos une apologie du laisser-faire. Pourtant il n'en est rien.
La légalisation, telle qu'elle doit être envisagée n'est en rien un abandon de la répression du trafic, et la bonne nouvelle, c'est que juridiquement, l'arsenal législatif est déjà en place!
En adoptant cette position pragmatique sur le cannabis, celui-ci rejoindra le tabac, l'alcool et même le pétrole au rang des marchandises soumises à accises.
Son commerce encadré sera légal, mais son importation ou sa détention sans autorisation seront considérés comme de la contrebande et la répression de ce trafic pourra continuer à s'exercer mais au titre de la contrebande, prévue au titre du code des douanes (art 414 CD).
Les peines prévues par cet article, notamment les amendes encourues sont pour le moins dissuasives : de 3 à 7 ans de prison et une amende comprise entre 1 et 3 fois la valeur de la marchandise.

Les notions de récidive et de bande organisée étant prises en compte par le code des douanes, les peines pourront toujours être adaptées en fonction des circonstances aggravantes.
Enfin, en matière de délinquance organisée, les opérations d'infiltration pourront toujours être effectuées puisque prévues par le même code. Elles sont déjà possibles et réalisées en matière de tabac et de contrefaçon.
Enfin, le blanchiment de ces infractions sera également poursuivi et les dispositions prévues dans le cadre de la saisie-confiscation des avoirs criminels garderont toute leur pertinence.
La circulation et la détention du cannabis seront couvertes par un justificatif, comme par exemple le ticket de caisse correspondant à l'achat, ou encore une contremarque fiscale sur l'emballage. L'infraction simple à ces principes sera une simple contravention douanière, couverte par le paiement d'une amende.
On le voit, il n'est nullement question ici de dépénaliser un produit dont la consommation a explosé ces dernières années, mais au contraire de maintenir voire renforcer l'arsenal législatif en notre possession et d'en optimiser son utilisation.
Ce faisant, les unités de police pourront être recentrées sur les missions prioritaires en terme de santé publique et notamment la lutte contre les drogues de synthèse, la cocaïne ou l’héroïne. Une des difficultés principales dans la lutte contre le trafic de stupéfiants est qu'elle doit s'opérer désormais dans un contexte de réduction budgétaire et de personnel. Or, la lutte contre le trafic de cocaïne ou d’héroïne est par définition beaucoup plus difficile à appréhender. Une partie des ressources fiscales issue de la légalisation sera affectée à cette lutte.
Cette politique pragmatique permettra également de désengorger les tribunaux tout en offrant un éventail supplémentaire de peines en cas de trafic aggravé.
On pourra objecter qu'il est immoral pour une société de créer un distingo entre deux substances psychotropes en en légalisant une. En évitant le traditionnel cliché "le tabac et l'alcool sont des drogues légales...", force est de constater que le cannabis, par beaucoup de côtés, bénéficie dans les faits d'un traitement différencié en matière pénale. Pour ne citer qu'un exemple, les seuils de transaction douanière, fixés par les politiques pénales des parquets varient considérablement selon que l'on est contrôlés à la frontière nord du pays ou dans le massif central.
Quant à l'argument qui consiste à dire que la nature ayant horreur du vide, les dealers de quartiers se tourneront vers d'autres substances, ou d'autres méfaits, il doit être balayé d'un revers de main. C'est en effet déjà le cas, sans que l'on puisse réellement lutter plus efficacement contre. La légalisation du cannabis ne modifiera en rien cet état de fait.

Conclusion

Entre une prohibition dont l'Histoire nous apprend qu'elle n'a jamais réellement solutionné aucun problème mais au contraire encouragé la criminalité, et une dépénalisation qui ne ferait que gêner le travail de la police et de la justice en donnant l'image d'une société qui baisse les bras, il existe donc la possibilité d'une troisième voie, celle d'une légalisation très encadrée impliquant un engagement politique fort, et l'implication de tout l'appareil d'état.
Cette évolution de notre société va dans le sens de l'Histoire. Beaucoup d'États américains se sont déjà lancés dans ce mouvement, engrangeant au passage des connaissances et des compétences technologiques et industrielles importantes qu'ils sauront monnayer le jour venu à l'étranger. L'Uruguay vient de légaliser ce produit. Plus proche de chez nous, des entreprises suisses se sont déjà positionnées sur ce créneau agro-industriel.

L'heure est venue de s'interroger sur notre capacité à réagir aux diverses tensions au sein de la société (chômage, sécurité, santé publique...) et c'est bien à l'État qu'il revient de mener cette réflexion, quitte à modifier de manière profonde mais réfléchie et pragmatique, notre logiciel sociétal.

dimanche 15 septembre 2013

Où l'on s'exaspère...

1.300.000
C'est le nombre de personnes qui, à ce jour, ont "liké" la page Facebook (260.000 personnes ont commenté sur la page... ) de soutien à ce bijoutier de Nice placé en garde à vue alors qu'il a fait feu sur les deux braqueurs qui venaient de le voler, en tuant l'un des deux.

La suite est assez "classique", ou, pour le moins "habituelle"...Le bijoutier est placé en gardé à vue. Bref, l'enquête "suit son cours".
A travers ce chiffre, qui semble massif, on sent bien que la société française est divisée sur le sujet


  •  les uns criant au scandale devant la mesure de garde à vue prise à l'encontre du bijoutier,
  • les autres, souvent juristes, presque écœurés de lire les commentaires de soutien.

J'avoue être assez partagé, sur tout cela:
Nous avons d'un coté un bijoutier qui, de par sa profession, se sent de plus en plus en danger. Les banques étant de plus en plus sécurisées, les braqueurs s'en prennent désormais aux commerces auxquels il semble plus "facile" de s'attaquer. Et cette crainte est non seulement une réalité, mais elle est aussi grandissante proportionnellement aux risques.
Pour autant, peut-on envisager d'autoriser la légitime défense telle qu'elle est indirectement proposée sur cette page ?
Si l'on autorisait les bijoutiers à posséder une arme pour se défendre, qu'en sera-t-il ensuite? Tous les commerçants voudront en faire de même ! A qui l'accorder ? Le refuser ?

Jusqu'à quel moment pourrait-on dire que ce bijoutier était en droit de tirer ? Aurait-il pu, de la même manière, envisager de le poursuivre en voiture, pour tirer une demi-heure plus tard ?
Que se serait-il passé si, au lieu de tuer le braqueur sur la moto, il avait tué un gamin qui passait par là ?
Les réactions auraient-elles été les mêmes? Je ne le pense pas !

Oui, notre société est exaspérée, tellement l'on constate, au quotidien, que nous n'arrivons pas à faire face la criminalité chaque jour plus violente. Et c'est en ce sens qu'il y a, selon moi, une erreur stratégique et/ou politique, dans le projet de loi Taubira, qui laisse penser que l'on s'occupe toujours plus des mis en cause que des victimes. J'ai bien dit "laisse penser". Oui, il faut réinsérer. C'est indéniable... Oui, on doit repenser les "sorties sèches"... Mais ce n'est pas ce message que retiennent les voyous qui ont, d'après moi, une vision assez binaire des choses:
 prison / pas prison. Pas prison = je peux recommencer... 
Mais c'est un autre débat...
Et c'est là que la stratégie n'est pas bonne; aucun message de fermeté n'est envoyé.

Pour autant, pour contrer l'exaspération, on ne peut tout autoriser. Le message de fermeté, ce n'est pas aux commerçants de l'envoyer.
Soyons quelque peu rationnels. Plutôt que hurler au scandale, réfléchissons, et servons-nous de ce qui existe et a déjà été mis en oeuvre. Je vous laisse suivre le raisonnement de @ValtonUSM






Qu'est-ce que cela nous dit?

Jusqu'à présent, de façon assez régulière, à chaque fois qu'un bijoutier s'est défendu d'un braquage en tuant son agresseur, il a été mis en examen, placé sous contrôle judiciaire, et, plus tard, jugé et condamné à du sursis.... Certes, la situation est quelque peu différente, puisque les faits se sont, semble-t-il, déroulé, cette fois-ci, hors de la bijouterie, alors que le danger était écarté...
Quoi qu'il en soit, il est important de laisser les enquêteurs et la justice travailler sereinement.

Il n'est pas, à mon sens, préférable, dans notre société, d'accepter la notion "œil pour œil, dent pour dent", qui consisterait à autoriser la détention d'arme à feu, et, dès lors, d'en faire un usage qui, à coup sur, déborderait dans nombre de situations. Il suffit de voir le nombre de morts par arme à feu aux Etats-Unis pour, rapidement, balayer cette solution.

La justice se doit de garder un œil sur ces actions toujours ambiguës. La garde à vue, même si elle semble injuste, n'est pas illégitime. Au moins le temps que tout soit clair. Il est facile de hurler au scandale une fois que la presse s'est faite l'écho des faits. Mais sont-ils aussi clairs qu'elle ne les présente ? Nous n'en savons rien. Il n'y a que l'enquête qui permettra d'établir ce qu'il s'est réellement passé. Il faut donc laisser le temps au temps.

Maintenant, il est un fait: pourquoi les gens sont-ils si nombreux à "liker" cette page ? Quelle déduction peut-on en faire ? Il est des questions qu'il faut se poser.

lundi 9 septembre 2013

Le Trafic de stupéfiants, en France. Etat des lieux - perspectives 1/2

Il ne se passe pas une semaine, à Marseille, sans qu'un homicide, mettant aux prises les trafiquants de drogue de la cité phocéenne, fasse la une des journaux. Les opérations de police se succèdent, semaines après semaines, et pourtant...

De nos jours, même si de nombreux produits sont classifiés "stupéfiants" (ecstasy, LSD, crack, ...) les deux produits les plus consommés et donc traqués sont la cocaïne, en provenance de l'Amérique du Sud, et le cannabis, généralement importé d'Afrique du nord.


Quelques chiffres: 





De ces quelques chiffres, on constate rapidement que si la cocaïne est plus dangereuse, il n'en reste pas moins que le cannabis est bien plus accessible. Son faible coût (cinq fois moins important que la cocaïne) le rend bien plus abordable, raison pour laquelle il attire dix fois plus de consommateurs que les drogues dites plus dures, comme la cocaïne.
C'est donc autour du cannabis que se cristallise la majorité des trafics. En France, ce sont principalement les cités, qui se mènent une guerre sans merci, à l'image de la Mafia, en Italie, ou des cartels, en Amérique du Sud, pour en contrôler la vente.
Et c'est bien le trafic qui touche le plus de personnes, mêlant l'importateur, le "chouf", mais aussi, et finalement, c'est là qu'il y a le plus de monde, les acheteurs qui, de fait, prennent une place à part entière dans l'économie souterraine.

Je vais vous livrer ici l'idée que je me fais, plus largement, du trafic de stupéfiants en France, et des moyens mis en place pour tenter de les mettre à jour, et y mettre fin. Ces quelques thèmes feront donc l'objet d'une première partie. 
En effet, une fois n'est pas coutume, ce billet sera divisé en deux parties, la seconde sera traitée, une fois n'est pas coutume, par un invité, lequel semble défendre l'idée par laquelle on l'on pourrait traiter le trafic - de cannabis - différemment. 


ETAT DES LIEUX:

Une vingtaine d'homicides en huit mois (au moment où j'écris ces lignes), sur fond de règlement de compte à Marseille...

Une comptabilité, saisie sur une affaire, qui fait état de revenus oscillants entre 40.000 et 60.000€... par jour... une saisie de 1.3 millions d'euro en espèces...
Ce sont là quelques chiffres donnés par Christian Sainte, Directeur Interrégional de la Police Judiciaire, compétent sur la région PACA et le Languedoc Roussillon, depuis maintenant près d'un an.
Cette saisie importante, si l'on ne peut pas en faire la base d'une règle de trois, pour imaginer l'argent généré par le trafic, reste tout de même assez significative de l'économie souterraine drainée par le trafic de cannabis dans nos cités !


QUELQUES GENERALITES

Il convient, avant tout, de rappeler ce qu'est précisément le cannabis. On l'a compris, il s'agit bien sur d'un produit stupéfiant dont l'usage, et à fortiori la vente, sont interdits en France. Le cannabis peut se consommer sous la forme d'herbe ou sous la forme de résine, dont les morceaux chauffés ( et, de fait, ramollis) sont mélangés avec le tabac.



résine de cannabis

Les effets du cannabis que l'on peut observer sont:
  • à court terme: 
    • une euphorie modérée, un sentiment de bien-être (dont on peut imaginer que c'est l'effet recherché par son utilisateur);
    • s'en suit une somnolence, un affaiblissement de la mémoire à court terme, des troubles de l'attention
    • il diminue les capacités de mémorisation et d'apprentissage et
    • peut donner lieu à des troubles psychiatriques telles que les hallucinations, et/ou des troubles anxieux intenses...
    • dans le cas d'une consommation élevée on observe des risques de dépendance psychique, de problèmes relationnels de l'usager
  • à long terme:
    • peut être la cause d'accidents de la route
    • susceptible d'être à l'origine de certains cancers
    • peut entraîner des pathologies de l'appareil circulatoire et respiratoire
Les effets du cannabis sont principalement dûs au THC -  TétraHydroCanabiol - que l'on dit être le principal "agent actif du cannabis", autrement dit la substance dont le produit tire sa nocivité.
On considère qu'il représente, à titre "naturel", entre 0.5 et 5% du cannabis. Lorsqu'il est consommé en herbe, son taux varie alors de 4 à 9% pour représenter, lorsqu'il est à l'état de résine, de 8 à 30% de la substance. Tout en sachant que, depuis maintenant quelques années, des taux bien plus importants ont pu être constatés.
Cette augmentation du taux n'est autrement due que par une manipulation du produit d'origine, par le biais de techniques sophistiquées de culture. Une fois qu'il a intégré le corps humain, le THC entre alors en "liaison" avec des "récepteurs dits "cannabinoides" présents dans l'organisme, principalement dans le cerveau.
De fait, plus le taux de THC est important, plus les effets sur l'usager le sont.
On note que le THC a été découvert très récemment (1964) alors que le principe actif de la cocaïne est connu depuis le 19ème siècle.


LÉGALISER? DEPENALISER?

A l'imagine du maire de Mexico, ou de l''Uruguay , très régulièrement, des voix s'élèvent (notamment politiques), pour que la consommation de cannabis en France soit légalisée. C'est notamment la position de la formation politique Europe Ecologie Les Verts (EELV), à l'image de la ministre issue de sa formation, Cécile Duflot. Mais, à gauche, d'autres membres du Gouvernement y semblent favorables, comme Vincent Peillon (voir ses déclarations d'Octobre 2012), ou encore le garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Christiane Taubira, ou encore Michel Sapin. Il va sans dire qu'à droite, le débat semble quasi inexistant, tout le monde étant contre.

Il est alors important de dissocier deux notions qui pourraient apparaître voisines: légaliser et dépénaliser:
  • Dépénaliser signifierait que l'on autoriserait l'usage du produit, le trafic demeurant illégal; c'est pourrait être le cas, à l'image de ce qui se fait dans certains états américains, où l'on peut consommer le cannabis dans le cadre d'un usage thérapeutique. On estime, à ce jour, à 32, le nombre d'Etats qui ont, d'une manière ou d'une autre, légiféré sur le cannabis, pour le légaliser, sous des formes différentes.
  • Légaliser aurait pour but de, non seulement d'autoriser la consommation, mais aussi de réglementer la fabrication et la distribution du produit, à l'image de ce qui se fait pour le tabac ou l'alcool. Nul besoin d'être un scientifique pour imaginer la rentabilité que l'Etat pourrait en tirer, par le biais d'une taxation forte. La République Tchèque, par exemple, a légalisé le cannabis médical. 
A ce jour, la Corée du Nord est le seul pays où la consommation de cannabis est entièrement légale. 
En France, depuis le 7 Juin, l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) peut délivrer des autorisations de mise sur le marché de "médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés". 

On l'a dit, de nos jours, ce trafic de cannabis engendre une économie souterraine énorme, et des problèmes de société colossaux, qui semblent ne pas régresser malgré la volonté des pouvoirs publics.


AVANTAGES / INCONVENIENTS

Quels seraient les effets sur la légalisation (encadrée) de la vente du cannabis ?
On serait tenté de penser qu'une bonne partie de l'économie souterraine pourrait s’effondrer et que, de fait, un certain calme réapparaîtrait dans les banlieues françaises. Plus de trafic, donc plus de guerre pour le contrôler, donc plus d'homicides... Mais je n'y crois pas. La nature ayant horreur du vide, les trafiquants ne feraient que se rabattre sur un autre créneau; les armes ou les drogues dites plus dures. Non pas que cela n'existe pas, mais cela serait plus massif.
Pour autant, on ne peut nier certains avantages que produiraient la légalisation de ce produit, mais je vais laisser @hpiedcoq vous les développer, puisqu'il s'agit d'une partie de son propos.

En ce qui me concerne, il me parait hasardeux de le légaliser, puisque cela reviendrait à dire "c'était interdit, mais bon, maintenant on peut", autorisant la consommation massive d'un produit alors que l'on connait sa nocivité, comme l'alcool et le tabac. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que notre société ne va pas dans ce sens en ce moment.


Cela me parait donc délicat d'un point de vue médical, lorsque l'on sait les ravages que peut faire ce produit. Même si, et je sais que notre invité y reviendra, légaliser reviendrait à pouvoir contrôler le taux de THC et donc la nocivité du produit !




Approche répressive, et réorientation des missions


A ce jour, l'usager de produits stupéfiants est réprimé par le code de santé publique, à l'article L 3421-1 alors que le trafic, lui, est réprimé par le Code Pénal, par les articles 222-37 et suivants

Et pourtant, si vous êtes pris avec 10g de cannabis à Paris, vous ne serez pas jugé de la même manière que si vous aviez la même quantité à Bourges ! Mais c'est un autre problème...
Bien évidemment, la lutte contre la toxicomanie et le trafic de stupéfiants sont des priorité en matière de police, et des moyens lourds lui sont attribués. Enfin... Une priorité parmi tant d'autres.
Le problème étant que le trafic en lui-même génère bien plus d'infractions que celles qui lui sont directement liées. Cela va des habitants de certaines cités qui ont du mal à rentrer chez eux, tellement les lieux sont surveillés, aux homicides tels qu'on peut les voir à Marseille ou, plus récemment, à Colombes (Hauts de Seine) ou assez régulièrement en Seine Saint Denis.


QUI, POUR LUTTER CONTRE LES TRAFICS?

D'une manière générale, n'importe quel policier/gendarme peut constater l'infraction, la relever, et interpeller l'auteur. Cela relève de ce qu'on appelle "le flag". D'une manière générale, l'usager est interpellé. Là, deux possibilités; soit une procédure dite "simplifiée", en accord avec le Parquet, à travers laquelle l'interpellé est entendu hors garde à vue; le Parquet, avisé, prend alors une décision; bien souvent, ce que l'on appelle une "injonction thérapeutique", c'est à dire un engagement par lequel "l'auteur" va se soigner. Autre possibilité; en général, lorsque la "prise" est plus importante qu'une consomation classique: la mesure de garde à vue, et toute l'enquête qui en découle. Le produit, quant à lui, est détruit. 
Quoi qu'il en soit, l'enquête est alors poursuivie pour rechercher et, éventuellement, interpeller le ou les vendeurs de la substance. 
Plus généralement, ce sont des services spécialisés à qui sont confiées ces enquêtes. Mais, et c'est là, selon moi, un gros problème, ces services peuvent être gendarmesques, policiers, ou douaniers. Ce qui laisse une impression d'absence d'organisation, tellement les informations sont éparpillées dans les services, et donc, non coordonnées. 
Par exemple, une Brigade de Recherche de Gendarmerie procède à l'interpellation d'un homme qui a, sur lui, une quantité X de cannabis. Elle "déroule" son enquête, et arrive à identifier les vendeurs, que l'on peut qualifier de "semi-grossistes".
Et cela, sans savoir que, au niveau régional, la DIPJ (Direction Interrégionale de Police Judiciaire) enquête, elle, de manière différente, à partir du semi-grossiste, pour remonter jusqu'à l'importateur. Imaginez ensuite que la douane travaille, sans le savoir sur des complices, et vous avez des enquêtes qui s'entrecroisent, pouvant mener à ce que l'on peut considérer, parfois, comme une "guerre des police", chacun voulant aller au bout de son enquête et atteindre ses objectifs.
Et il n'y a donc là aucune coordination des enquêtes. Chacun veut rester sur son pré carré. Statistiques obligent.

Pourtant, il existe, au sein de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, une unité devenue "interministérielle" qu'est l'OCRTIS; l'Office Central de Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants. Y sont représentés des douaniers, gendarmes et, en bien plus grand nombre, des policiers. Le siège est à Nanterre; une antenne est basée à Roissy (pour traiter les suites des saisies faites par les douanes aéroportuaires de la région parisienne). Une antenne est installée au Antilles (Guadeloupe, Martinique, St-Martin), pour traiter, principalement, de l'importation transatlantique de cocaïne, en provenance directe d'Amérique du Sud. Et, depuis peu, les groupes stups des PJ de Bordeaux, Lille et Marseille sont devenus des antennes OCRTIS.

Ce n'était pas le cas voilà quelques années, puisque ces groupes stups (alors à compétence, généralement régionale), ne dépendant pas de la même direction, et ayant une compétence dite régionale, n'allaient pas au-delà de leurs limites géographiques.
Comment cela se passe-t-il maintenant?
exemple: un groupe de l'OCRTIS à Nanterre (à vocation nationale) est destinataire d'une information selon laquelle une remontée importante de cannabis, de type "go-fast" est prévue tel jour, en provenance d'Espagne, avec des informations plus ou moins précises. Le service peut tout aussi bien en arriver à la même conclusion par le biais d'une enquête de fond. Tout le groupe (voir plusieurs) traverse le pays jusqu'à la frontière pour intercepter le "go-fast", ce qui engage, on l'imagine, des frais en conséquence et une fatigue des effectifs certaine.
Désormais, chaque DIPJ va pouvoir participer à cette affaire pour assurer la remontée sur une partie du territoire, en coordination avec le siège. Enfin, en théorie.
Toujours est-il que l'existence même de cet office est, certes, un bon début, mais la route est, selon moi, encore longue, chaque direction voulant garder ses propres chiffres statistiques, son nombre d’interpellation, ses propres saisies de produits. J'ajoute que les agents "détachés" de la Gendarmerie ou des Douanes, ont parfois, comme l'on dirait "le cul entre deux chaises", entre leur "maison" d'origine, et celle où ils évoluent. Alors, que par définition, tout devrait être, par ce biais coordonné, et sans problèmes.


DES CHANGEMENTS STRUCTURELS

Il faudrait, en fait, selon moi, une structure totalement indépendante dans laquelle seraient reversés des policiers, gendarmes ainsi que des douaniers. Mais "reversés", non pas comme ils sont en ce moment, mais dans un statut unique, commun. Une structure hiérarchisée, de son sommet au bas de l'échelle, ayant AUTORITE sur toutes les enquêtes liées au trafic de stupéfiants. Avec, en parallèle, la mise en place d'une documentation où toute affaire liée au trafic devrait passer par cette entité unique. Dont on peut imaginer qu'elle irait d'une structure centrale, à quelque chose de départemental, voir local.


J'avais envie de défendre un système, un peu, à l'américaine, ou il me semblait que la DEA avait le monopole de toutes les enquêtes relatives au trafic de stupéfiants; mais, là non plus, ce n'est pas le bon exemple, puisque j'ai appris, il y a peu, que même aux USA, une demi-douzaine d'agences pouvaient être amenées à travailler sur les stupéfiants.



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On l'a vu, les problèmes sont donc tant idéologiques (sur le principe même de la légalisation) que structurels, où il faut pouvoir organiser la lutte au plan national. 

Mais une chose est certaine. Notre société va devoir procéder à des changements. Non pas des réformettes qui n'auront, au final, qu'un impact minime sur le trafic. Non, il s'agit bien de changements structurels. Qu'il s'agisse des services de sécurité chargés de la lutte contre le trafic de stupéfiants, mais aussi sur le fait de savoir ce que la société veut. 

Mais, des choix, il faudra en faire, au risque de voir la situation marseillaise gangrener, peu à peu, le reste de la France. Si ce n'est pas déjà le cas. 


sources:
- l'obervatoire français des drogues et toxicomanies
- site "vie" du Groupe Technique Disciplinaire des Sciences et Vie de la Terre de Jussieu
- site internet du journal "Le Figaro", dans son article du 07 août 2013