dimanche 9 décembre 2012

Tranche de vie.... à l'hopital

Il est déjà vingt et une heure. 
Trois heures, que nous sommes dans cet hôpital  La chance est avec nous, puisque le personnel médical s'occupe de nous, et fait ce qu'il peut. 
Ah, j'ai oublié un détail: ce n'est pas moi, ni même mes collègues, qui avons des problèmes de santé. 
Non, ce sont deux de nos gardé à vue. Comme la loi le leur en donne la possibilité, ils ont demandé à voir un médecin, durant leur garde à vue. Cinq heures plus tard, le praticien est venu. Pour nous dire que, sur l'ensemble des gardé à vue que nous avions, deux nécessitaient un contrôle au sein d'un établissement hospitalier. Soit. 
Nous voilà donc, tous les quatre, à attendre... en partant du service, j'ai misé sur "la nuit". Deux GAV, avec une radio, des pansements à changer, le pompon, comme dirait l'autre... 
Ce soir, la chance est avec nous, l'infirmier répartiteur nous a pris "à la bonne", il est sympa, et s'occupe de faire avancer les choses. 
Il faut dire que je ne suis jamais très à l'aise, avec des gardé à vue, en dehors d'un service de police; Plus le temps passe, et plus le risque de fuite est réel. Toujours se méfier. 
Tout se passe bien. Enfin, pour nous. 
Le lieu n'est pas très approprié à la rigolade, certes; pourtant, cela nous aide à passer le temps. 
L’espace d'un instant, je me retrouve seul. Seul face à la réalité, où un peu par hasard, je sors de ma petite bulle policière  Nous sommes dans un hôpital  Qui dit hôpital dit patients. J'ouvre les yeux; il y en a partout. Et nous ne sommes que dans les couloirs. Ce sont les murs qui longent les lits, et non l'inverse. Je parcours les visages, les uns après les autres, et c'est le désarroi, que je lis. Le personnel médical passe, repasse, dans un sens, puis dans l'autre. Et eux, comme les vaches qui regardent les trains, ils observent, peu ou proue, sans mot dire. Bref, les patients patientent.


La configuration des lieux fait que nous sommes juste de l'autre coté d'une paroi où patientent les familles. Devant m'adresser à une infirmière, j'ouvre la porte. Lui donne les documents dont elle a besoin. Comme d'habitude, réquisition judiciaire, mémoire de frais, et certificat médical initial, établi par le médecin, dans nos locaux. 
Une jeune femme en profite pour tenir la porte ouverte; cette porte qui sépare familles et patients. Très joli brin de femme. Elle me demande si elle peut aller voir son papa! Qui suis-je pour lui répondre, ici? Spontanément, elle me dit venir d'une petite commune de montagne, à trente kilomètres de là. Bref, comme l'on dit, une petite "trotte". Nous conversons, lorsqu'elle me dit qu'elle est embêtée, à cause des "clients qui attendent". J'enfile ma carapace... quoi, une avocate? (oui, je sais, réflexe débile, mais je suis bien conditionné (lol) sait-on jamais, attention aux pièges... retour de la parano); nous discutons quelques instants. Finalement, le temps, pour elle, de s'assurer que je ne lui barrerai pas la route. Et puis, elle se décide, franchit le seuil de la porte, et disparaît dans les couloirs, à la recherche de son papa.
Je vais pour retourner auprès de mes collègues, mais la porte est retenue. C'est une femme âgée, qui apparait dans l'encadrement de la porte. Les traits tirés, le visage triste...  
Nos regards se croisent, je vais pour continuer, lorsqu'elle m'adresse la parole. Je ne puis faire autrement que me retourner.
 "C'est mon mari, qui est là. Nous sommes là depuis treize heures - il est alors 20h - . Personne ne nous dit rien. Il a fait un AVC. Il faut dire que c'est le troisième... en deux mois. La deuxième fois, il est tombé par terre. Dans la chute, il s'est ouvert, sur le crâne; et sa blessure ne cicatrise pas! Vous avez, monsieur, il est tout, pour moi... 32 ans que nous vivons cote à cote". 
Je lis, sur le visage de cette femme, tout le désespoir qui est le sien. Elle cherche du réconfort, mais je ne sais quoi lui dire.
 "Il ne parle quasiment plus, vous savez; ne me reconnait plus... mais il mange bien", essaye-t-elle de se rassurer. Evidemment  sans être médecin, on ne peut que se dire que, passé trois AVC en si peu de temps, forcément, le monsieur doit avoir un problème assez important et, à chaque fois, un peu plus de séquelles.
 "Vous savez, nous avons un petit restaurant, dans la montagne; et nos clients attendent, là. Heureusement, ma nièce est restée, ce soir, pour les servir". Elle continue à me parler de son restaurant que j'arrive, finalement, à localiser. "C'est ma fille, que vous avez vue, tout à l'heure". 
Ah, "l'avocate", me dis-je, plus stupide que la moyenne! 
La conversation dure une petite dizaine de minutes; C'est tout le poids du monde, qui repose sur les épaules de cette femme. "Tata Linette; tenez, voici la carte du restaurant; passez nous voir, quand vous le pourrez". 
Et elle continue à me parler de sa vie, de son mari... je sens qu'elle en a besoin. Même si je ne peux faire grand chose pour la soulager, je vois bien que, à cet instant, elle a juste besoin d'une oreille qui l'écoute. 
Huit heures qu'elle attend, dans une salle d'attente, des nouvelles de l'homme qui représente la moitié de sa vie. Huit heure que pas une seule personne ne lui a donné de nouvelles. Je la sens désespérée  vraiment perdue. Elle me fait de la peine. Elle a l'air tellement gentille, si humaine.... 
"c'est bon, on a le certif... ". Ca y est, c'est l'heure de repartir; il est presque vingt deux heures. Les deux GAV sont menottés, retour dans le véhicule. 
Au passage, je croise "l'avocate", finalement restauratrice; je l'entend dire qu'elle a vu son papa, que "ça va bien". "Tata Linette" esquisse un sourire, en fait un soulagement. Elle va se rassoir, maintenant qu'elle a repris une dose de moral qui la fera patienter encore un peu. Je conduis mes deux "clients", nos regards se croisent, elle me gratifie d'un joli sourire. Que je lui renvoie. 
Bon courage à vous, Tata Linette, me dis-je. 
Bref,  pour moi, un autre instant d'humanité, une tranche de vie, au milieu de cette course contre le temps qu'elle une garde à vue.
Aujourd'hui encore, je pense à cette femme. Ému... 
A très bientôt, madame; je me ferai un plaisir de venir vous saluer. Vous, et, je l’espère votre mari. 

samedi 1 décembre 2012

un seul être vous manque et tout est dépeuplé... alors imaginez deux!

C'est un peu triste, ce soir, que j'écris ces quelques mots.
Voilà quelques mois... que dis-je - le temps passe - quelques années, que je me laisse aller à la blogosphère, ou encore sur les réseaux sociaux. Tout ce temps pour tenter de dépeindre ce qu'est mon métier, montrer que nous policiers, ne sommes pas si loin des citoyens que nous devons protéger  et que, d'ailleurs, nous sommes, avant toute chose.
Montrer que nous ne sommes qu'humains, finalement; professionnels, certes. Mais humains. De fait, avec des défauts. Et, j'ose espérer  quelques qualités. J'insiste, mais finalement, ni mieux, ni moins bien que d'autres. Pareils. La seule chose que nous avons, c'est une éspèce de procuration de l'Etat, d'agir en son nom, selon les textes que nos représentants ont voté.
Par ma présence, j'essaye, en quelque sorte, de dépeindre mon environnement d'une manière différente que ce peuvent en raconter les journalistes, en général les seuls ayant accès à une partie de ces données.

Et pour cause, rien n'est mieux dit que lorsqu'il l'est de l’intérieur, par celui qui vit l'évènement.
J'ai commencé par un blog, et j'ai continué via le microblogging "Twitter".
Plus le temps est passé, moins je me suis senti seul .Je me suis fait la remarque, il y a peu; j'étais le premier à critiquer magistrats, avocats et autres journalistes. Ils représentent désormais 70% des gens avec qui je suis en contact via ces réseaux sociaux; Oh, je n'en connais, IRL, comme l'on dit -comprenez In Real Life - que très peu. Ce n'est pas faute d'en avoir envie... Et, jour après jour, échange après échange, on apprend un peu à se connaitre .Tantôt au travers d'un sujet personnel, la plupart du temps au travers d'un fait divers que nous commentons, et parfois, par le biais des commentaires que nous faisons tous sur nos professions respectives.
Puisque, finalement, c'est là que se trouve l'échange, le vrai. parler de ce que l'on connait, des difficultés rencontrées. De l'autre coté, le twittos, qui, peut-être comme moi, avait quelques idées préconçues et qui, au fil des discussions, comprend les difficultés "d'en face".
Le ton est différent chaque jour; l'humour, la colère, l'ironie. chaque jour, et chaque interlocuteur sont différents. Question de caractère, aussi. Parfois même chamaillerie; et je ne suis pas le dernier.
Il y a quelques temps, j'aurai dit "c'est de leur faute...", pour ne parler, finalement que de manière corporatiste. Aujourd'hui, je dis "qu'est-ce qui a pu conduire..." ; oh, j'en arrive parfois à la même conclusion. Mais pas toujours.
Policiers, gendarmes, magistrats, avocats... faisons partie d'une chaîne extrêmement complexe.
Une société idéale voudrait que toute cette chaîne fonctionne à la perfection. que les rouages soient huilés, et que le tout soit à plein régime... constamment, tout le temps.  Mais nous sommes tous humains, avec, parfois nos erreurs, mais aussi nos difficultés respectives, qu'elles soient personnelles ou professionnelles.
Toutes ces petites raisons qui font qu'un jour ne ressemble jamais à un autre. Que l'on apprécie les bons jours comme l'on déteste les mauvais.

Bref, je m'étend.... je m’égare, même.

Mais je me sens enrichi, au contact de toutes ces connaissances, aussi, puisque j'apprend, au quotidien, ce qu'est leur vie, mais surtout quelles sont leurs contraintes et leurs difficultés. J'ose espérer que eux, derrière leur écran, ressentent, au moins un tout petit peu, la même chose.
Tout cela n'empêche pas les désaccords, qui peuvent parfois être profonds. Mais toujours respectueux.
Mais au moins, on essaye de se comprendre; bref, même si on ne se voie pas, on communique.

Pourtant, nous rencontrons une difficulté. Tous, autant que nous sommes, magistrats et policiers, relevant du pouvoir que nous délègue  chacun en ce qui nous concerne, l'Etat, devons nous imposer un devoir de réserve. Quelques lignes de recherche me font découvrir qu'en fait, ce devoir, nous est imposé depuis 1935, et qu'il est, en fait, issu de la jurisprudence. Bien que repris, pour ce qui me concerne, dans le Code de Déontologie de la Police Nationale, issu de l'article 11 du Décret du 18 Mars 1986, lui portant création.

Bref, nous devons donc faire attention à ce que nous disons, aux opinions exposées.

En 1986, Twitter n'existait pas; je ne parle même pas de l'an de grâce 1935.
En ces temps, n'existait pas, non plus, l'anonymat qui confère à celui qui parle, une sécurité, une distance, sans pour autant qu'il soit dans l'obligation de renier ce qu'il est, sa profession, information qu'il serait alors censé porter un peu comme une croix, un boulet... une honte, dont il ne faudrait parler à personne.

Twitter et les blogs permettent à tout un chacun de s'exprimer, tout en permettant de mettre en avant, ou du moins de ne pas le cacher, ce qu'il est, ce qu'il fait.
La seule condition nous nous imposons tous: Pas de noms, pas ou peu de précisions géographiques. De sorte à ne pas mettre à mal une affaire dont nous aurions connaissance, ainsi, et surtout, ses acteurs.

Et voilà qu'un journaliste (est-ce bien la bonne appellation?), qui avait du temps à perdre (c'est comme cela qu'il se décrit lui-même), vient remuer tout ça, pour faire le "buzz".Ce journaliste descend dans la fosse pour "dénoncer" deux professionnels évoquant leur quotidien. Non sans humour, d'ailleurs, et c'est même ce qui tend à rapprocher de telles fonctions du citoyen "lambda".
On reproche tellement souvent aux policiers, comme aux magistrats, d'être dans leur tour d'ivoire.
Imaginez un peu les horreurs auxquelles nous faisons face tous les jours. Vols, viols, meurtres, alcool, drogue... Mais sans l'humour, la dérision... ou serions-nous?
Que ferions-nous, sans mêler cette distance à ce quotidien finalement si tragique?

En voilà deux, donc, qui ont voulu en descendre, de cette tour, pour se mêler à  la foule. Plutôt que de dépeindre une situation glauque, ils ont pris un ton humoristique pour évoquer une affaire qui leur revenait. Encore une fois sans aucun détail permettant d'identifier la dite affaire.
Ce qui n'a, et j'insiste, à aucun moment remis en cause leur travail puisque chacun est donc resté à sa place, dans le rôle qui est le sien. Cette affaire s'étant, de fait, déroulée, comme toutes les autres, jour après jour, sur tout le territoire français, sans incident.

Voilà donc un homme qui pense qu'il serait interdit de penser. Ou du moins de dire ce qu'on pense, même anonymement, sur un ton autre que grave, limite depressif!
A quand la lobotomie qui nous empêche directement de penser?

Mais j'en veux encore plus à cet homme qui, en plus, s'est permis de livrer en pâture - il n'y a pas d'autres mots - les identité de ceux qui se voulaient anonymes.

Monsieur Dewitte, vous n'avez rien compris. Rien. Aujourd'hui, j'ai pu lire ce commentaire qui trouve là tout son sens: hier, les magistrats voulaient censurer la presse; désormais, c'est la presse qui censure les magistrats".
Votre article est juste contre-productif; A contre courant de la société.

Devant ces faits, j'ai pensé à m'auto-censurer, à me limiter, comme certains.. mais à y réfléchir  je n'ai rien à me reprocher. Je n'ai donc aucune raison de me cacher. J'assume ce que j'écris, en faisant attention, toujours, à ne pas nuire, ni à mon institution, ni, directement, à mon travail, et aux enquêtes auxquelles il m'est donné de participer. Bien au contraire, mon but est de défendre l'institution et le travail que je suis fier d'accomplir tous les jours.

Pour finir, amis lecteurs, je ne peux que vous conseiller cette lecture: rassurez-vous. Si vous avez tenu jusqu'ici, il vous sera bien plus facile de lire ces quelques lignes.



A deux twittos qui n'ont toujours fait que respecter la noble profession qui est la leur.