jeudi 29 juillet 2010

Paroles de flic


Je me permet de faire un copier/coller d'un témoignage de policier de la BAC. Ce collègue a été envoyé en renfort à Grenoble suite aux derniers évènements.
L'article a été publié sur le site "Le Point":

Denis est policier à la Brigade anticriminalité (BAC). Il fait partie des hommes envoyés en renfort à Grenoble où des policiers sont menacés de mort par des caïds de cité. Il a accepté de témoigner pour Le Point.fr sous couvert d'anonymat. Édifiant.
"ON SE COUCHE DEVANT LES CAÏDS"
"Nos collègues de Grenoble ont leur nom et prénom tagués sur les murs du quartier de la Villeneuve. Et la seule réponse du ministère, c'est de les mettre au repos ou de les muter. Je suis dans la BAC depuis 10 ans. Aujourd'hui, je suis écoeuré. Une fois encore, on se couche devant les caïds. On nous a donné l'ordre de ne plus patrouiller en civil, de remettre nos uniformes pour ne pas être identifiés comme un flic de la BAC. C'est désastreux pour l'image. Les petits caïds se disent dans leur tête que les flics ont peur, qu'ils reculent. Parmi les policiers exfiltrés, il y a un major à deux mois de la retraite avec 15 ans de BAC derrière lui. C'est la honte."
"DE LA CHAIR À CANON"
"On se fout de la gueule des flics, on nous prend pour de la chair à canon. Quand on pense que Sarko avait promis de karcheriser les cités ! La hiérarchie fait tout pour minimiser la gravité de la situation. Personne ne sait ce qu'est devenu l'agent de sécurité qui a failli prendre une balle. C'est l'omerta. Heureusement, l'info circule entre nous, via les portables."
"GILETS PARE-BALLES PÉRIMÉS"
"Le 22 juillet, je me suis pointé au travail à midi. J'ai appris qu'à 16 heures je devais être à Grenoble pour une mission de neuf jours. Si tu refuses, t'es muté dans un service de merde. Alors, tu pars risquer ta peau pour 1.800 euros par mois. Mon métier, c'est de protéger les biens et les personnes. Pas de me faire tirer comme un lapin par un crevard de cité. Notre véhicule affiche plus de 100.000 kilomètres au compteur, à l'intérieur, le chauffage est bloqué. Voilà l'état de la police aujourd'hui, en tout cas de la sécurité publique, dont je fais partie. Rien ne fonctionne normalement, ni les voitures, ni les ordinateurs. Certains ont des gilets pare-balles périmés. Même nos brassards de police sont usés jusqu'à la corde, j'ai un collègue qui a été obligé de repasser au marqueur la lettre P du mot police."
"CE N'EST PAS LES CAÏDS QUI VONT FAIRE LA LOI"
"J'entends certains dire il faut envoyer l'armée. Qu'on nous laisse agir, et ça ira très vite. Ce n'est pas une vingtaine de petits caïds qui vont faire la loi. Ces derniers jours, avec les renforts qui ont débarqué, les types se tiennent à carreau. Hormis quelques marioles qu'il faut savoir calmer. Hier, on est tombé sur un crevard de ce genre. Le type était au téléphone quand on s'est approché pour le contrôler. Je m'adresse à lui en le vouvoyant pour lui demander de mettre fin à sa conversation téléphonique, il me répond en me tutoyant : "Tu es qui toi pour me demander de m'arrêter de téléphoner. Personne ne me contrôle ici." Il a pris direct deux pièces de cinq francs (des gifles). Après, il nous disait : "Bonjour, merci et au revoir." Bien sûr que je me mets hors clous en agissant ainsi. Mais pourquoi devrait-on baisser la tête ? Si tous les flics agissaient ainsi, les problèmes seraient vite réglés. Pour moi, ça, ce n'est pas une bavure, c'est une démarche citoyenne. Il faut arrêter de verbaliser le citoyen lambda et s'attaquer aux caïds, aux dealers, aux braqueurs. Quand un jeune de 20 ans roule dans une X6 qui coûte 120.000 euros et qu'il ne travaille pas, c'est à lui qu'il faut confisquer la voiture sur le bord de la route."
"SARKO NE SAIT PAS CE QUI SE PASSE"
"Il faut que la population sache que les policiers n'ont pas peur d'entrer dans les cités. Si nous n'y allons pas, c'est que nous avons ordre de ne pas y aller. Aujourd'hui, la hantise des autorités, c'est la bavure, l'émeute, l'embrasement. Mais à force de reculer, de renoncer, on arrive à des situations comme aujourd'hui. Un jour, on se réveille, c'est trop tard, c'est l'effet boomerang. Je ne crois pas que les conseillers de Sarko lui disent la vérité sur ce qui se passe. Il faudrait que tous ces délégués à la sécurité, préfets ou autres viennent tourner une nuit avec la BAC pour voir l'étendue des dégâts. On dit ici qu'un flic du Raid a eu dans la jumelle de son fusil un voyou perché sur un toit avec un lance-roquettes. Et qu'il n'aurait pas reçu l'ordre de tirer. Si j'avais été à sa place, j'aurais appuyé sur la détente. Et cela ne m'aurait pas empêché d'aller manger une pizza après. Est-ce qu'on attend qu'il pulvérise un fourgon de flic ?"
"LA PAROLE D'UN FLIC NE VAUT RIEN"
"Les flics vont se mettre à tirer. S'ils ne l'ont pas encore fait, c'est parce que la peur de perdre leur boulot est plus forte. Mais les flics en ont ras le bol. Après 15 ans de police, sans le moindre problème, je me suis retrouvé du jour au lendemain mis en garde à vue, perquisitionné à mon domicile parce qu'un crevard de cité, multirécidiviste, m'avait accusé de l'avoir agressé. Ce qui était faux. Mon service de nuit à peine terminé, je me suis retrouvé en garde à vue, puis mis en examen par le doyen des juges d'instruction. Pourtant, je suis un des flics les plus décorés de ma génération. Le doyen en question qui n'avait jamais mis les pieds dans un commissariat, ni même dans une voiture de flic m'expliquait comment il fallait que j'intervienne sur la voie publique. J'ai été suspendu durant neuf mois, privé de salaire. Je vivais avec 300 euros par mois. Si je ne suis pas mis une bastos dans la tête, c'est parce que mes proches m'ont soutenu. Au bout du compte, j'ai été relaxé par le tribunal. La parole d'un flic aujourd'hui ne vaut rien. Ni devant un jeune de cité, ni devant un juge, ni devant un élu. Le flic est un sous-citoyen."

Ce texte vous explique l'état d'esprit dans lequel se trouvent les policiers, et où en est, exactement, la société vis à vis de la délinquance multirécidiviste (puisque c'est bien de cela dont il s'agit).Quand je vous dit que les politiques reculent devant la voyoucratie. J'appelle cela le syndrome "Malik Oussekine". C'est depuis ce drame que tout le monde ouvre le parapluie. On a peur d'une bavure, donc on recule tous.

mardi 27 juillet 2010

Courage à mes collègues grenoblois...


Voilà une situation qui semble bien tendue, que celle des collègues policiers en poste à Grenoble. Beaucoup ont eu, à minima, vent des éléments qui ont embrasé la ville. Pour rappel, le 16 Juillet dernier, un braquage vient d'être commis au préjudice du casino de la banlieue grenobloise.  
Des policiers, rapidement sur place, prennent en chasse un des braqueurs, Karim Boudouda ; la course-poursuite est engagée sur une quinzaine de kilomètres. A l'issue, au résultat, serait-on tenté de dire, un braqueur est mort, vraisemblablement par un coup de feu provenant d'une arme policière.  Vous aurez remarqué que j'ai évité de parler d'homme « abattu », et c'est volontaire. J'ai donc recherché la définition du mot, qui parle de quelqu'un qui tombe de sa hauteur sous le coup d'une arme à feu. Donc, à priori, pas de problème. Mais, je sens, à titre personne, comme une connotation dénonçant une volonté de tuer avec préméditation. Et ce n'est pas le cas. Mais, soyons précautionneux, une enquête est en cours, sur les circonstances de la fusillade, comme cela se fait systématiquement, j'insiste, en cas de départ de coup provenant d'une arme policière. Et, croyez-moi, si excès il y a, ils sont sanctionnés. Il n'est pas question de protection particulière.
A la suite de ce drame, parce que c'en est un, que la mort d'un homme, des émeutes ont enflammées la cité grenobloise. La tension serait montée d'un cran puisqu'on nous explique que les voyous se seraient donné pour mission de venger la mort d'un des leurs, et donc là, je le dis « abattre » un policier. On entend des termes « un flic une balle ».
La police grenobloise a vu arriver 3 demandes de mutation, et 20 demandes de repos provisoire. C'est compréhensif, mais j'espère que ce sont bien, là, les volontés de la police. Désormais, selon le Ministre de l'Intérieur, le RAID, ainsi qu'un groupe du GIPN seraient déployés, en plus de services des départements voisins (on parle de policiers lyonnais ou marseillais). En parallèle, des « mesures de protection » ont été décidées pour les policiers de la BAC grenobloise. Encore une fois, j'ose espérer qu'il ne s'agit pas là de mesures de sanction pour « éviter de mettre le feu ». ce serai, à mon sens, dramatique, puisque, pardonnez-moi l'expression on « baisserait la culotte ».
Comment en est-on arrivé là ?
Je n'ai pas la prétention de tout connaitre, bien loin de là. Mais combien de témoignages, souvent anonymes, parlent, en quelque sorte, d'abandon des cités. Et c'est une réalité que de dire que, parfois, des ordres sont donnés de ne pas entrer dans une cité pour éviter de l'embraser. A cet instant-là, les voyous gagnent du terrain. Je sais que c'est un sujet sensible, mais parlons des chasses. Les autorités policières ne cessent de répéter qu'elles sont interdites. Vous voyez un véhicule volé, si il « met le pied dedans » pour prendre la fuite, il ne faut rien faire. L'argument avancé : ne pas risquer la vie d'autrui (un passant, par exemple) pour un simple vol. Et cela, les voyous le savent. Ils savent qu'ils peuvent partir, bien souvent, ils ne seront pas suivis. En tous les cas, ils n'ont aucun intérêt à fuir. A mon sens, même si je comprends l'argument avancé, on laisse du terrain aux voyous. D'une manière générale, croyez-moi, ils n'ont absolument plus la « peur » du flic. Loin de là. Je ne vous parle même pas de respect, la notion ayant disparue depuis bien longtemps. Pourquoi, plutôt que d'interdire les chasses, ne formerait-on pas les policiers à la conduite rapide, de manière générale ? Certes, on ne peut nier que le risque zéro est approché, mais quand-même.
Voilà mon sentiment. Depuis maintenant 30 ans, régulièrement, les voyous gagnent du terrain sur les policiers. D'aucuns diraient « la peur a changé de sens ». Il n'y a qu'à voir le reportage que vous trouverez ici, et qui est criant de vérité.
Vous avez, ensuite, une homme, de la communauté des gens du voyage, qui tombe sous les balles d'un gendarme. à Saint-Aignan. Le gouvernement et le Président de la République se saisissent du dossier (tardivement ? à chaud du fait de l'actualité ? certainement), et immédiatement, vous avez des hommes politiques, du bord opposé, qui dénoncent la « stigmatisation de la communauté des gens du voyage). De par ce genre de réaction, on laisse du terrain aux voyous. Tous les membres de la communauté des gens du voyage ne sont pas des délinquants, c'est une réalité, et personne n'a dit cela (ou alors, je n'ai pas entendu). Mais c'est une autre réalité que de dire qu'il existe un réel problème avec nombre de membres de cette communauté. Que ce soient des Roms ou les manouches. Combien de vols, de cambriolages dénombre-t-on, à l'année ? Par certains modes opératoires, les faits sont signés ; sur Paris, par exemple, nombre de roms pratiquent, de manière habituelle, le cambriolage. Et ils sont très malins. Donc, difficile à arrêter.  Ce sont maintenant des jeunes filles, souvent mineures,  qui procèdent aux cambriolages, pendant que les parents sont en bas, à faire le guet. Et pourtant, ces cambriolages sont une réalité. On le sait. Parlez-en aux habitants du 16 ème ou 7 ème arrondissement parisien. Certes, ils n'ont pas connaissance, souvent, de l'auteur du cambriolage dont ils ont été victime, mais bien souvent, ce sont bien des roms qui en sont à l'origine. Mettez des policiers à demeure dans le quartier, et ils iront à coté. Ils savent très bien que les mesures ne sont que provisoires. Et dans trois mois, les rondes policières seront moindres, et ils reviendront. Bref, le jeu du chat et de la souris.
Vous l'aurez compris, mon message est le suivant : l'Etat de droit recule. Et c'est dangereux. A-t-on atteinte un point de non retour ? Je pense que oui. Mais ce n'est que mon avis.

dimanche 11 juillet 2010

Du genre qui marque


  Cela faisait longtemps que je n'y avais plus pensé. C'était dans un coin de ma tête, certainement enfoui. Pourquoi aujourd'hui? Je n'en sais rien...
Ce jour-là, le groupe « crim » avait décidé de se faire un petit repas. A vrai dire, je ne me rappelle pas du menu, mais nous étions attablés ; un petit repas de gala comme il nous arrivait d'en prendre deux à trois fois par an. Une fois avant l'été, l'autre avant Noël, et quelque autre occasion.
Je n'étais pas d'astreinte. C'est-à-dire que, en cas d'appel pour une saisine, je ne devais pas être envoyé en premier rideau. C'était, ce jour-là, un autre binôme.
Nous étions au milieu du repas, lorsque le Commissaire, chef de section était arrivé. J'imagine qu'il devait avoir le visage sombre.
« Un appel de l'Etat-Major, à Paris. De forts soupçons sur un triple homicide. Deux enfants et leur mère auraient été tué par leur  grand-père ». A vrai dire, je ne sais plus s'il était venu nous annoncer la disparition de la famille, avec une suspicion de meurtre, ou s'il était venu nous annoncer les morts, de but en blanc ! Mais, comme on peut l'imaginer, l'ambiance du jour avait rapidement tournée. Plus personne n'avait la tête au repas. Mais il fallait attendre quelques renseignements supplémentaires, avant de partir. N'étant pas d'astreinte, il ne m'incomberait pas de procéder aux constatations sur les cadavres, ni d'assister aux autopsies puisque le fonctionnement était ainsi fait que ceux qui étaient d'astreinte étaient chargé de cette mission! C'est peut-être égoïste, mais je n'en avais pas une folle envie, cette fois-ci. Habituellement, cela ne me faisait pas grand-chose, d'assister à une autopsie  mais là, je ne le sentais pas !
Quelques minutes plus tard, nous étions devant la porte d'un appartement d'une ville moyenne de banlieue parisienne. Là encore, je ne me souviens plus des détails ; étions-nous les premiers à arriver sur place, y avait-il des policiers en tenue déjà sur place ? Je ne sais pas. « L'effet tunnel », diraient-certains.
Mais il y a une chose dont je me souviens. Le premier enfant était allongé dans son lit, dans la première chambre de l'appartement ; il était sur le niveau supérieur d'un lit superposé. Il dormait. La mère était, elle aussi, sur son canapé-lit, allongée, endormie, avec le petit dernier de la famille à coté d'elle. En fait, non, ils ne dormaient pas. Ils étaient morts. Tous les trois. Mais leur visage était comme endormi; c'était... comment dire.... étrange; une ambiance froide... Les enfants se prénommaient Antony et Maeva. La maman se prénommait Laure.
Ce qui est certain, c'est que beaucoup d'entre nous appréhendaient les autopsies à venir. Il faut dire que beaucoup de nos enfants avaient des âges plus ou moins similaires. Le transfert était difficilement évitable ! Et ce jour-là, j'ai apprécié la réaction de celui qui était mon chef de groupe. Nous n'avions pas une entente particulièrement bonne, mais ce qu'il a fait ce jour-là était, à mon sens, digne d'un grand homme. Devant le peu d'entrain à cette mission, il s'était d'office porté volontaire pour y assister. A une année de la retraite, déjà, il en avait vu d'autres; c'était ses paroles. E, en plus, il avait bien compris l'état d'esprit dans lequel beaucoup d'entre nous étaient, et surtout, il l'avait compris. C'était un lourd fardeau. Il l'a porté, sans sourciller.
Rapidement, l'enquête avait démontré que le grand-père avait été incestueux vis-à-vis de sa fille plusieurs années auparavant. Au retour de quelques années en prison, elle l'avait à nouveau accepté auprès d'elle. Jusqu'à ce qu'il récidive avec l'ainé de ses enfants. Ne supportant le rejet des siens, il avait pris le parti de s'en séparer.... à jamais. Après avoir commis son forfait, il s'est suicidé, chez lui. C'est sa femme, en retrouvant le corps, qui avait alerté les services de police. C'est en lisant une lettre à coté de lui qu'elle avait compris le drame qui s'était produit à quelques kilomètres de là.
Le comble de cette enquête avait démontré que frère de Laure était présent au moment du drame. Et plutôt que d'aider sa sœur, une fois tout le monde mort, il n'avait rien trouvé de mieux que de lui voler sa carte bleue, pour « acheter des fleurs pour les enfants », avait-il dit, lors de sa garde à vue. Terrible!


Travailler en Police Judiciaire est un réel plaisir, pour moi. Lorsque je travaillais en groupe criminel, en règle général, il m'était assez facile de mettre une certaine distance avec une affaire dont j'avais à traiter ; aussi terrible soit le meurtre, ou la vue du décédé. Mais un enfant dans une telle situation, cela reste particulièrement difficile. Et marquant.
En tous les cas, moi, ca m'a marqué.