samedi 19 janvier 2013

quelque part entre les Antilles et Stockolm...


On peut définir le syndrome de Stockolm comme est un phénomène psychique caractérisé par un sentiment de confiance, parfois même de sympathie, que développe une victime de prise d'otages envers ses ravisseurs. Ce sentiment peut aussi apparaître chez le ravisseur qui se laissera influencer par la victime. 
Cette définition, je ne l’ai pas inventé, vous trouverez un article bien plus précis ici.
Qu’est-ce que cela vient dans la choucroute (normal, pour un alsacien), me direz-vous ?

Me voilà au sortir de quelque 45 heures de travail accomplies en trois jours. Avec, autour, deux journées « normales », d’une dizaine d’heures. Bref, une semaine bien chargée, qui a commencée par des surveillances, s’est poursuivie par des interpellations, et une séquence de garde à vue en criminalité organisée. L’issue s’est avérée, pour nous, positive, puisque ces interpellations se sont traduites par l’exécution d’un mandat de dépôt, pour les gardés à vue, à la prison locale.
Bien entendu, je ne parlerai pas du fond, secret de l’instruction oblige. Mais plus de l’ambiance… au sens large…
Le premier jour est celui, systématiquement, de l’interpellation. Il va de soit, et c’est on ne peut plus logique, que le gardé à vue ne nous porte pas dans son cœur ; il voit, par le biais de son interpellation, et de la garde à vue qui s’en suit, ses perspectives d’avenir s’assombrir… et ce, d’autant plus que, plus on  grimpe la hiérarchie des services judiciaires (ce n’est bien sur pas systématique, mais assez souvent vérifié) plus les chances d’en sortir à l’issue sont réduites. Les services que je fréquente depuis quelques années, et l’expérience qui est désormais la mienne me font dire qu’il est assez rare qu’un individu interpellé par nos soins ne soit pas placé en détention provisoire à l’issue de la garde à vue. Je me répète, mais c’est important, ce n’est pas une vérité absolue, mais un constat. Il est évident que chaque affaire est différente, et que ce sont toujours les magistrats qui prennent les décisions de mise en examen, et placement en détention provisoire. Mais ne nous égarons pas…
Donc, le premier jour, celui de l’interpellation, est assez souvent « tendu ». Le gardé à vue ne sais pas à quelle "sauce" il va être mangé. Et, du coté du policier, il a beau en connaitre pas mal sur son "client" (avec les écoutes, surveillances, etc…), le fait de l’avoir en face, ce n’est pas pareil. Bref, le policier et le gardé à vue se jaugent l’un l’autre.
Et le temps passe. Les auditions se suivent… les versions évoluent. On passe, bien souvent, du mensonge éhonté, dans la première audition (que l’on appelle audition de chique) à quelque chose qui se rapproche souvent plus de la vérité. Je mets de côté les menteurs professionnels qui, pris dans la main dans le pot de confiture, ne reconnaîtront pas l’avoir touché. Bref, n’en déplaise à certains avocats, une certaine complicité s’installe. Cela n’enlève rien à la place de chacun. Ce qui est écrit le demeure. Mais, en dehors, tout se passe beaucoup mieux. On élargi un peu le contexte pour, finalement, parler de la vie.
Arrive alors la fin de garde à vue.

 Et c’est là l’expérience nouvelle qui est la mienne. Enfant gâté que j’étais à Paris, une fois le « client » au dépôt, tout était fini. On se fait une petite fiesta entre collègues pour décompresser, et on passe à autre chose.
Mais il en est tout autre en province. Il s’agit, là, d’amener les gardé à vue auprès du Juge d’Instruction, pour le déferement ; et ce sont donc les enquêteurs qui assurent la sécurité durant les débats. De fait, d’abord devant le juge d’instruction, puis, éventuellement, devant le juge des libertés et de la détention, le fameux JLD.
Pour la première fois, j’ai donc assisté à ces débats, aujourd’hui. Pour en arriver à ce jeune de 25 ans, qui se trouve devant le juge, assisté de son avocat, qui accepte de répondre aux questions du magistrat. Je ne suis même pas sur qu’il le comprenne toutes. Mais il répond. Juste. Sans surprise. A l'issue, là aussi sans surprise, il est mis en examen ; le Parquet demande son placement en détention provisoire, tout comme le juge d’instruction.  Nous sortons du bureau, dans l’attente d’être reçus par le JLD. Entre temps, l’avocat se charge de récupérer deux membres de la famille, puisque l’audience est publique.
Et là, il a envie de parler ; plutôt besoin, en fait. Il est sorti de prison il y a quelques mois seulement, sous bracelet éléctronique. Il bosse… un peu, mais cela ne lui permet pas de vivre avec sa petite amie, et leurs deux enfants. Et il est obligé de rentrer un peu d’argent, pour vivre, et faire vivre cette petite famille. C'est du moins ce qu'il m'explique Il est, à cet instant, spontané ; rien ne l’oblige, et tout est « off », comme diraient les politique. Ce qui me fait dire qu’il est sincère.
Sa femme et sa tante, qu’il considère comme sa mère, arrivent. Il retrouve le sourire, le temps d’un bisou volé auprès de sa bienaimée. Pour l’occasion, elle s’est « bien » habillée. C’est important de bien paraître au tribunal. Un peu comme à l’Église. Finalement, il s’agit de se montrer sous son meilleur jour devant celui qui va décider pour vous…
L’audience commence ; le représentant du Parquet est entendu. Puis le client, et son avocat. Le magistrat demande quelques minutes pour délibérer. Il s’agit alors de dire au revoir à la famille. La petite amie garde le sourire ; cela semble remonter le moral du jeune homme. L’homme va pour embrasser sa tante. Il lui bise la joue gauche, puis tend sa joue droite. Mais rien ne vient. Nouvelle tentative…. Pas plus fructueuse. Il a, en retour, un regard froid. Sur le coup, il reste fier, mais, aussitôt qu’il doit lui tourner le dos, les larmes commencent à couler sur sa joue. L’attitude de celle qu’il considère un peu comme sa mère l’a touchée au plus haut point.
J’avoue, il me fait de la peine. A 25 ans, il semble plein de bonne volonté, depuis trois jours que nous nous côtoyons, il est très respectueux (ce qui est loin d’être la règle) mais n’arrive pas à trouver de travail; le chômage des jeunes est ici un gros problème. Il fait bien de la mécanique, pour les copains, les connaissances.. ; arrive à gagner un petit billet, à droite à gauche… mais ça ne fait pas vivre. Comme souvent, la facilité s’est emparée de lui. L’argent facile. Dur de résister, surtout lorsque l’on n’a pas d’autre opportunité, et des mauvaises fréquentations !
J’éprouve beaucoup d’empathie, pour lui. Il me fait de la peine. C’est là que je voulais en arriver.
Que les choses soient claires ; à aucun moment, l’enquêteur n’a quoi que ce soit de personnel contre celui qu’il va ou qu’il a arrêté. Chacun sa place. Le policier fait son métier, mais il n’y a jamais rien de personnel. Soyez-en certain. Nous nous devons d’être neutres, notre seul but étant de résoudre l’énigme, l’enquête qui nous est confiée.

Celui qui est désormais partie à l'enquête, puisque mis en examen, est vraiment touché ; au plus profond de lui. Et je suis gêné… ; enfin, pas gêné, il n’y a pas d’erreur, dans l’enquête, et ce qu'il a fait est grave; certainement sans qu'il en ai conscience… l’homme est à sa place… Mais, d’une certaine manière, comment pourrait-il en être autrement ? Il n’a, semble-t-il, aucun environnement positif, personne pour l’emmener vers le meilleur. Quelles solutions s’offrent à lui ? La réinsertion ? Un petit coup de canif, et l’engrenage a fait le reste…

Décidément, je faiblis, avec le temps…

Me voilà donc, ce soir quelque part en Suède… pas très loin de Stockolm…  

1 commentaire:

  1. La compassion n'est pas une faiblesse.
    C'est une force, qui permet de voir la lumière au delà des ombres. Qui permet de s'extraire au delà des querelles bassement égocentriques.
    Et, en effet, ça n'a rien de personnel.

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